Drapeau tricolore frappé du Sacré-Cœur

L’inacceptable drapeau tricolore frappé du Sacré-Cœur, par le cardinal Billot Le Figaro, « La question du drapeau », 4 mai 1918

Emblème du national-catholicisme, le drapeau tricolore frappé du Sacré-Cœur consacre le mariage contre-nature des catholiques avec la Révolution. Au même titre que la croyance en une bonne assemblée délibérante, le drapeau national ainsi baptisé, relève du vieux mythe de la bonne république chez les catholiques. Dans un article du Figaro daté du 4 mai 1918, le cardinal Billot — grand théologien dont on connaît l’orthodoxie et l’antilibéralisme combatif — revient sur ces assemblages artificiels d’éléments aussi opposés qu’il qualifie de « chimères », autrement dit, si l’on se réfère au dictionnaire : de monstres, d’idées fausses, de produits d’une vaine imagination. [La Rédaction]

Un prélat traditionaliste : le Cardinal Billot

Né le 12 janvier 1846 à Sierck-les-Bains, Louis Billot est un théologien et jésuite français.
– Ordonné prêtre le 22 mai 1869, il enseigne l’Écriture sainte à Laval, puis la Théologie dogmatique à Angers et plus tard au scolasticat de Jersey.
– En 1885, il est appelé par Léon XIII pour enseigner à l’Université grégorienne. Il est nommé, par saint Pie X, consulteur au Saint-Office et est réputé pour avoir grandement participé à la rédaction de l’encyclique Pascendi qui condamne le modernisme.
– Il est créé cardinal au consistoire du 27 novembre 1911.
– Il devient président de l’Académie pontificale Saint-Thomas d’Aquin et membre de la Commission biblique pontificale.

Les traités de théologie qu’il a publiés entre 1892 et 1912 le font considérer comme un des plus grands théologiens de son époque. C’est un rude ennemi du libéralisme, du modernisme et du Sillon. Il est extrêmement réservé quant à l’Action catholique.
En désaccord avec Pie XI au moment de la condamnation de l’Action française, il est reçu en audience par le pape le 13 septembre 1927, une audience dont il ressort… sans son chapeau de cardinal. Redevenu simple jésuite, il meurt à Rome le 18 décembre 1931 et est enterré au cimetière de Campo Verano.

Le 4 mai 1918, il intervient, grâce à une lettre au Figaro, dans la « campagne » qui fait alors rage et qui vise à « obtenir des pouvoirs publics l’adjonction de l’image du Sacré-Cœur au drapeau français ».

Introduction de la lettre par le Figaro

On se rappelle la campagne, fort peu sage en vérité, dont un groupe de catholiques prirent, au cours de la guerre, l’initiative, et le mouvement, vite arrêté, qui s’ensuivit dans le dessein d’obtenir des pouvoirs publics l’adjonction de l’image du Sacré-Cœur au drapeau français.
Cette campagne, que notre épiscopat se garda d’encourager, que plusieurs évêques condamnèrent même publiquement, et que le Saint-Siège déconseilla par des instructions envoyées aux cardinaux de France, instructions qui ne furent pas publiées en leur texte, mais dont il me fut permis de produire une exacte analyse, cette campagne, dis-je, quelques-uns songeraient à la reprendre comme si Dieu avait mis vraiment au salut de notre pays une condition que tout esprit bien équilibré jugera, quoique par ailleurs il en pense, impossible à réaliser.

Toujours est-il, que beaucoup de nos généraux — sans parler des démarches tentées à maintes reprises auprès des personnages politiques les plus divers, voire les plus hauts placés — reçoivent depuis quelque temps des lettres où on les avertit charitablement qu’ils perdront leur peine aussi longtemps que cette condition n’aura pas été remplie.
Et les requérants s’appuient sur les « révélations » de Mlle Claire Ferchaud, dont le cas est présentement soumis à l’examen d’une commission nommée par l’évêque de Poitiers ; et les « révélations » de cette voyante — il ne s’agit de contester ni sa bonne foi, ni sa piété — se raccordent à un prétendu message que le Sacré-Cœur aurait chargé la bienheureuse Marguerite Marie de transmettre à Louis XIV, qui, d’ailleurs ne le reçut jamais.

Or, voici que le cardinal Billot, dans une lettre dont je tiens à grand honneur de pouvoir donner la primeur aux lecteurs du Figaro, vient de prendre position fort nettement contre la campagne dont je viens de parler. Le cardinal Billot, jésuite français résidant à Rome, jouit, comme théologien, d’une très grande autorité. En outre, il est renommé dans le monde entier pour le radicalisme de son intransigeance doctrinale. Personne assurément ne sera tenté d’attribuer son attitude — toute pareille en l’occurrence à celle des libéraux — à je ne sais quelle complaisance pour les faiblesses de la société moderne.

La lettre du Cardinal Billot au Figaro

La question de l’authenticité des messages du Sacré-Cœur destinés à Louis XIV (VLR)

Rome, 23 mars,
Bien cher Monsieur,
Vous me demandez mon avis sur les prétendues promesses d’après lesquelles la grandeur matérielle de la France serait la consécration de la réalisation littérale du désir exprimé à la bienheureuse Marguerite-Marie : « que l’image du Sacré-Cœur soit officiellement gravée sur les armes, peinte sur les drapeaux, etc. »
Tout d’abord, une question préalable. Les révélations de la bienheureuse Marguerite-Marie concernant la France, ou plutôt le roi de France Louis XIV (car c’est lui que nous voyons constamment nommé dans les quatre lettres à la mère de Saumaise et au P. Croiset qui sont les seuls documents sur lesquels on s’appuie) ces révélations, dis-je, viennent-elles véritablement de Dieu ? *

On serait fondé à en douter quand on met en regard, d’un côté, l’orgueil de Louis XIV, son insatiable ambition, ses guerres de conquête, son attitude si hautaine et si insolente vis-à-vis du Saint Siège, son rôle dans l’éclosion de la grande erreur gallicane dont il fut le premier auteur et le principal inspirateur etc.1 et, de l’autre, des phrases comme celle-ci :

Fais savoir au Fils aîné de mon Sacré-Cœur que mon cœur veut régner dans son palais, être peint sur ses étendards et gravé dans ses armes pour les rendre victorieuses de ses ennemis, en abattant ces têtes orgueilleuses et superbes, pour le rendre triomphant de tous les ennemis de la Sainte Église.

Ne croirait-on pas qu’il s’agit d’un Charlemagne ou d’un Saint Louis, et que les ennemis du grand roi étaient précisément ceux du royaume de Dieu ? Et n’y a-t-il pas quelque chose de bien étrange dans cette idée du Sacré-Cœur abattant les têtes orgueilleuses et superbes au pied d’un homme plus superbe et plus orgueilleux encore ?

* NOTE du FIGARO :
Le cardinal Billot fait remarquer ici fort à propos que « l’Église, en canonisant ses saints, ne se porte jamais garante de l’origine divine de leurs révélations », et que, de plus, « il y a toujours place, en quelque hypothèse que ce soit, pour un mélange inconscient de ce qui vient de l’esprit propre avec ce qui est l’esprit de Dieu ».
Mais venons-en à ce qu’il y a de capital dans la lettre du cardinal Billot. J’entends son opinion non plus sur l’authenticité, mais sur la substance du fameux « message » du Sacré-Cœur à Louis XIV.

La question du baptême de la Révolution (VLR)

Parmi les demandes que le message contenait, il en est une surtout, celle que vous marquez expressément, qui passe de bien loin tout ce qu’il semblerait permis de rêver. Car il faudrait un changement si radical dans l’assiette et les conditions générales de la Société française que l’esprit en demeure interdit. Je sais que rien n’est impossible à Dieu, mais nous n’en sommes pas, en ce moment, à estimer ce que Dieu peut de sa puissance absolue.
Nous devons considérer qu’il y a une certaine économie de la Providence actuelle dont Dieu, autant que nous pouvons en juger par l’histoire, entend ne pas sortir, et que le miracle requis pour un drapeau national, au vingtième siècle, portant dans ses plis l’image du Sacré-Cœur, autrement dit, le miracle d’un pays aussi profondément divisé que le nôtre, surtout sur la question religieuse, aussi pourri de libéralisme, aussi féru de l’idée révolutionnaire, venant à accepter dans son ensemble, une pareille alliance de la politique et de la religion dans ce qu’elle a de plus intime et de plus délicat, non, encore une fois, ce miracle-là n’aurait d’analogue en rien dans ce qui s’est jamais vu depuis que le monde est monde, depuis qu’il se fait des miracles sous le soleil, depuis qu’il y a des hommes sujets au gouvernement divin sur la terre.

La question d’une élection divine de la France (VLR)

Je n’ai pas le temps de dire ici tout ce qui me vient à l’esprit. J’ajoute seulement que l’idée d’un drapeau national portant l’image du Sacré-Cœur ne me semble pas même une idée acceptable en soi, pour la bonne raison que le drapeau national n’est pas seulement un drapeau de paix, mais qu’il est aussi un drapeau de guerre. Et pourquoi les Allemands, par exemple, ne se croiraient-ils pas en droit de mettre sur leur drapeau ce que nous mettons sur le nôtre ? Et voilà ce cœur adorable où tous les hommes doivent s’unir dans l’étreinte d’une commune charité, conduisant les Français à l’égorgement des Allemands, et les Allemands à l’égorgement des Français ; est-ce convenable ?

La tentation millénariste (VLR)

Nous dirons encore un mot des promesses. J’ai crié gare à je ne sais quelle nouvelle forme de millénarisme sur la pente duquel nous mettent ces assurances de triomphe sur nos ennemis et sur ceux de la Sainte Église, ce pouvoir d’abattre à nos pieds ces têtes superbes et orgueilleuses des grands, ces abondantes bénédictions sur toutes nos entreprises, etc.
En vérité, ce n’est pas ce que semblent nous promettre les leçons du passé. Ce n’est pas ce que le Sacré-Cœur réservait à Louis XVI, à Garcia Moreno, aux héroïques Vendéens de la Rochejacquelin, de Charette, de Lescure, d’Elbée, de Cathelineau. Enfin, nous ne sommes plus des Juifs d’ancien Testament.

Chimères ! (VLR)

Chimères ! chimères ! chimères qui ont le grand tort de donner le change sur une dévotion admirable, tout entière orientée vers l’acquisition et l’union des vertus surnaturelles et vitam venturi sœculi.
Voilà, bien cher Monsieur, en abrégé, ce que je pense de la question que vous me posez. N’ayant pas le loisir de développer davantage ces quelques idées, je vous prie d’agréer l’hommage du respect avec lequel j’aime à me dire.

Votre très humble et très dévoué serviteur,

Cardinal Billot.

Conclusion du Figaro

Est-ce que la cause n’est pas désormais entendue ? Je crois qu’elle l’est. Le cardinal Billot aura rendu, par ce lumineux et ferme appel au bon sens, le plus signalé service à l’Église de France que telles extravagances d’un mysticisme dévoyé finiraient par exposer à de graves périls.

Julien de Narfon

  1. Note de VLR : Si nous admettons volontiers que Louis XIV ne saurait représenter un modèle d’humilité, nous n’adhérons pas cependant à la légende noire que le XIXe siècle en a brossé et dont le cardinal Billot est, comme tous ses contemporains, intoxiqué. Les travaux universitaires de ces dernières décennies — comme ceux d’un François Bluche, et tout récemment d’un Alexandre Maral (avec son livre Le Roi-Soleil et Dieu. Essai sur la religion de Louis XIV) — mettent en pièces bien des préjugés sur ce grand roi.
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