La formation des coutumes d’hérédité et de masculinité au sujet des lois fondamentales du Royaume de France

La formation des coutumes d’hérédité et de masculinité, par Jean Barbey La coutume comme source du droit

Il serait vain et anachronique de tenter d’analyser les changements dynastiques — mérovingiens, carolingiens, capétiens —, ainsi que l’élaboration de ce que l’on appelle les Lois Fondamentales du Royaume, à l’aune de notre pensée du XXIe siècle. En effet, les sociétés traditionnelles ignorent le volontarisme juridique et constitutionnel propres à la modernité, et Cicéron (106-43 av. J.-C.) — cité par saint Thomas d’Aquin — explique : « l’origine première du droit est œuvre de nature ; puis certaines dispositions passent en coutumes, la raison les jugeant utiles ; enfin ce que la nature avait établi et que la coutume avait confirmé, la crainte et la sainteté des lois l’ont sanctionné 1». Dans l’étude qui suit, le Professeur Jean Barbey s’attache à préciser la notion de « coutume », ainsi que les conditions de la formation des coutumes d’hérédité et de masculinité qui seront appelées au XVIe siècle : « Lois Fondamentales du Royaume de France. » [La Rédaction]

Introduction de viveleroy

Le texte qui suit est un article de Jean Barbey publié dans la revue Mémoire, N°7, 1er trimestre 1988, p. 65, sous le titre « La formation des coutumes d’hérédité et de masculinité ».

AVERTISSEMENT : Les titres et sous-titres ont été ajoutés par VLR pour faciliter la lecture en ligne.


La légitimité du roi entre : hérédité, sacre et élection

Les carolingiens et la prévalence du sacre

Dans une monarchie, l’animation du corps politique dépend du roi. C’est dire toute l’importance de son statut et notamment de sa désignation et de sa légitimité. À cet égard, en France, deux événements apparaissent comme fondateurs.
– Le premier est le sacre en 751, à Soissons, de Pépin élu par les grands du royaume. L’onction sacrale, source du nouveau pouvoir, qui légitime l’élu comme roi des Francs, vient apparemment rompre avec le principe héréditaire légitimant seul le pouvoir royal depuis Clovis.
– C’est ensuite, en 754, le second sacre de Pépin à Saint-Denis, oint en même temps que ses deux fils, Charles et Carloman. Ce sacre ne légitime plus seulement l’élu, mais s’annexe la descendance de Pépin. Selon la Clausula de unctione Pippini le pape Étienne « astreignit les grands à ne jamais prétendre à l’avenir faire choix d’un roi pris dans une autre famille » : l’élection apparaît maintenant domestiquée par l’hérédité.

C’est ainsi qu’aux origines carolingiennes sont en place les trois éléments — sacre, élection, hérédité — dont la combinaison profitera au dernier d’entre eux. L’hérédité sera la clef de voûte, la substance de la succession royale qui s’adjoindra des règles qui en sont comme des accidents et qui la déterminent davantage :
– la primogéniture,
– la masculinité et l’agnation, puis
– la catholicité.

Ces diverses règles concourent donc à désigner la personne du successeur. Cependant celui-ci n’est vraiment roi — jusqu’au XIIIe siècle — que le jour du sacre. Mais grâce à l’ombre protectrice de l’onction, le jeu de l’hérédité et de la primogéniture, comme aussi celui de la masculinité, prennent consistance et deviennent des coutumes.

Les capétiens et la consécration des règles coutumières

Un hasard, la mort inopinée de Louis IX à Tunis, et la nécessité de reconnaître le successeur sans attendre la cérémonie du sacre, impose, de fait, l’usage de considérer à partir de 1270 que le nouveau roi le devient le jour de la mort de son prédécesseur. Ce que confirme, un siècle plus tard, l’ouvrage anonyme, le Somnium Viridarii selon lequel le roi n’a pas à attendre l’onction pour exercer les prérogatives du pouvoir.

Ces réalités sont prises en compte par les ordonnances royales de 1403 et 1407 qui font accomplir une mutation décisive à la légitimité royale, que confirme peu après l’analyse du juriste Jean de Terrevermeille : la légitimité ne procède plus du sacre mais du jeu des règles successorales coutumières. Le successeur désigné par ces coutumes est automatiquement et inexorablement roi à l’instant même de la mort de son prédécesseur. Il est alors intéressant d’observer le processus de formation de ces règles coutumières qui seront appelées Lois Fondamentales au XVIe siècle — ces lois incluant aussi indisponibilité et inaliénabilité du domaine royal outre la catholicité.

La coutume, en tant que source du droit

Un droit coutumier très éloigné du droit volontariste moderne

Ces règles, de nature coutumière, doivent en conséquence obéir à la nature de la coutume. Celle-ci est une source de droit difficilement appréhendée par les mentalités contemporaines, habituée à faire reposer le droit sur la volonté. La volonté du peuple ou de la nation, la volonté législative ou celle du pouvoir constituant peuvent délibérément modifier ou créer les normes juridiques.
Au contraire, la coutume, source prédominante de droit dans toutes les sociétés anciennes, repose sur l’idée que ce qui existe depuis longtemps a vocation à durer et à devenir droit.

Les deux conditions d’un droit coutumier

L’interrogation principale que doit alors se poser le juriste est de savoir comment, dans l’ordre coutumier, un fait apparu un jour se transforme en droit. Si l’on observe le processus d’élaboration de la coutume, on voit que pour se former, elle réclame deux conditions cumulatives.
1) Elle doit avoir d’abord une cause matérielle ou corpus. C’est l’usage qui naît de la répétition d’une pratique : un simple fait, quelque soit la volonté qui le sous-tend, ne suffit pas à engendrer une coutume.
2) Cet usage, ensuite, doit être accepté spontanément et sans opposition notable par le groupe social et être accepté de façon permanente. Le groupe, sur le fondement de préjugés favorables à l’usage, devient alors convaincu de son caractère contraignant. Cette opinio necessitatis ou animus est la cause formelle de la coutume, c’est-à-dire la conviction que l’usage est coutume.

Munis de ces précisions regardons, sur le vif, l’élaboration de cette dernière en ce qui concerne hérédité, primogéniture et masculinité. Elle doit nécessairement correspondre au processus même de la formation de la coutume. Or, sur ce point, les traditionnelles analyses ne sauraient être satisfaisantes.

La loi coutumière de l’hérédité/primogéniture

L’élection privilégie une hérédité unitaire

Tournons nous d’abord vers l’hérédité. Son processus d’élaboration est conforme semble-t-il à la définition précitée de la coutume.

En effet, l’hérédité s’affirme progressivement à partir de 987 en s’abritant derrière le sacre et l’élection.

Nous savons qu’en 879, l’événement est le retour en force de l’élection, estompée depuis 751. De Louis II à Hugues Capet les rois sont choisis par l’electio omnium Francorum. Cette procédure qui traduit le poids croissant de l’aristocratie franque aboutit à élire des hommes nouveaux : Eudes en 888, Robert Ier en 922, Hugues en 987.

Par là, l’élection se révèle — du moins provisoirement — plus forte que l’hérédité. Elle offre un avantage : celui d’éviter les partages successoraux entre héritiers, traditionnels chez les Francs et, par voie de conséquence, d’habituer les esprits à une succession unitaire au profit du seul élu (sauf en 879, date à laquelle, Louis III et Carloman sont ensemble élus).

L’élection et le sacre anticipé consolident l’hérédité en fondant la primogéniture

Dès son élection, il semble que la politique d’Hugues Capet est de se libérer du système électif et de réintroduire l’hérédité en la combinant toujours officiellement à l’élection. Pour réaliser cette politique, ce roi fait élire et sacrer par anticipation son fils Robert II, et l’associe au trône. Il est clair que l’élection est amoindrie, car elle n’est plus choix, mais confère au fils du roi un droit à régner qu’actualise et légitime le sacre. Et, de règne en règne, les successeurs d’Hugues agissent de même jusqu’à Philippe Auguste qui juge inutile de procéder au sacre anticipé et à l’association de son fils Louis VIII. Cette suite ininterrompue de rois élus, sacrés et associés avait fondé la coutume héréditaire.

Le processus est donc clair : la pratique d’Hugues Capet crée un précédent qui devient usage pendant deux siècles et devient corpus. Cet usage alors se cristallise en coutume, tous ayant la conviction — opinio neccesitatis — de son caractère contraignant. Au bout de deux siècles la coutume s’est dévoilée ou déclarée.

Des contributions de l’hérédité, de l’élection et du sacre dans la succession

Une question pourtant se pose. L’hérédité ne serait-elle pas déclarée plus tôt, modifiant de ce fait la chronologie du processus ? Cette question en amène, en corollaire, une seconde : si la coutume s’est fixée plus tôt, quel est le rôle exact du sacre qui n’étaye plus une hérédité en formation depuis 987 ?

Le sacre de 751 légitimant l’élu Pépin et celui de 754 annexant à ce dernier sa famille et sa descendance, indiquent que l’onction (en dépit de la préférence de l’Église pour l’élection) est au moins indifférente au mode de désignation du roi sacré et au mieux s’harmonise avec le principe héréditaire. En effet de 754 à 879, le sacre légitime toujours l’héritier ; et lorsqu’en 879 l’élection fait un retour en force, observons qu’elle ne consomme pas, même provisoirement, la rupture avec la tradition héréditaire :
– en 879, les fils de Louis II sont élus ;
– en 898, avant de mourir, Eudes recommande aux grands de revenir à l’hérédité carolingienne en élisant Charles III le Simple ;
– en 954, Lothaire succède à son père Louis IV et
– en 986, Louis V à son père Lothaire.

L’hérédité poursuit donc sa carrière et l’élection ne parvient pas à l’occulter réellement, même en 751, 888, 922 ou 987. Ces quatre cas d’élection de nouveaux venus (le premier carolingien et les Robertiens) n’illustrent en rien un échec du principe héréditaire pour lequel existe un consensus, une opinio necessitatis. En effet :
– En 751, il s’agit conformément aux conceptions ecclésiastiques — qui privilégient la finalité du pouvoir sur sa source — de sanctionner un mauvais roi, le dernier Mérovingien, indigne de régner.
– Ce sera aussi le cas de Charles le Gros, en 888, incapable de protéger le royaume contre les Vikings, alors que l’élu Eudes est l’efficace défenseur de Paris.
– De même pour Charles III le Simple, évincé par Robert Ier, car il avait perdu toute clairvoyance politique selon l’annaliste Flodoard.
Idem pour Charles de Basse-Lorraine, enfin, lui aussi jugé indigne d’être roi par l’épiscopat en 987.

Il s’agit donc de simples cas de rupture d’hérédité dynastique, occasionnelles ou opportunistes (des Mérovingiens aux Carolingiens et aux Robertiens), qui ne mettent pas en cause le principe héréditaire lui-même auquel inévitablement on revient.

On y revient parce que l’hérédité fait partie des structures directrices et profondes du royaume franc auxquelles répond le préjugé favorable de tous. Déjà Charlemagne donne à ses fils les noms royaux mérovingiens de Clotaire et Clovis (Louis) ; il montre ainsi, par delà la rupture de 751, qu’il entend rattacher à sa dynastie, même fictivement, la continuité royale. Karl Ferninand Werner a souligné le rôle de ces fausses généalogies qui tendent à effacer la rupture héréditaire dynastique en affirmant la pérennité du principe même de l’hérédité :
– En 898 et 936, la pesanteur de ce principe explique le retour à l’hérédité carolingienne et le respect qu’éprouvent à son endroit Eudes et Hugues le Grand, qui s’efface devant le Carolingien Louis IV.
– En 987, Hugues Capet ne viole pas le droit héréditaire de cette dynastie : Charles de Basse-Lorraine est jugé indigne de succéder et en dehors de lui, la race carolingienne est éteinte. Hugues n’a donc pas à établir l’hérédité mais à la maintenir au profit définitif de sa lignée.

D’ailleurs, en cette fin du haut moyen âge, s’il y a une opinio necessitatis c’est aussi parce que la structure héréditaire de la royauté franque s’est projetée, comme modèle, sur le comportement des princes territoriaux et des barons qui établissent une succession identique dans les honores qu’ils détiennent (c’était le cas des ascendants d’Hugues) ; et, à son tour, le comportement héréditaire des grands vassaux ne peut que pérenniser, en dépit des accidents, l’hérédité dans la transmission du pouvoir royal.

Enfin nous pourrions remarquer que pour la plupart des auteurs du temps, l’hérédité est implicitement admise. Souvent même, elle est clairement affirmée.
– Ainsi Abbon de Fleury note que les Capétiens, avant 987, étaient déjà dynastiquement structurés.
– Un Fulbert de Chartres insiste sur les droits du sang « fort anciens » des Capétiens.
– Gerbert d’Aurillac, lorsqu’un moment il s’élève contre Hugues et Robert, le fait, nous dit-il, pour soutenir le droit héréditaire de Charles de Lorraine.
– Vers 1030, on affirme communément que le royaume est passé par voie de descendance à une troisième lignée, ce qui accentue l’idée d’une famille unique.

En conséquence, c’est au temps des premiers Capétiens qu’est consacrée la coutume héréditaire. Pourquoi alors, Hugues et ses successeurs utilisent-ils la stratégie du sacre anticipé et de l’association au trône ?

L’usage du sacre anticipé consacre les coutumes d’hérédité et de primogéniture

Notons d’emblée que l’onction constitue toujours juridiquement le roi. Mais elle n’est plus de la même façon que dans l’optique traditionnelle le support d’une hérédité en voie de s’établir. Déjà Louis VI en 1108, bien qu’associé, ne fut pas sacré du vivant de son père.

Néanmoins l’onction joue un triple rôle.
1) Elle rend intangible la succession héréditaire en la proclamant en quelque sorte indisponible, trois siècles avant la formulation précise de ce principe par Jean de Terrevermeille. Ce qui contribue à rendre inopérantes les oppositions et rebellions en un temps où est grande la faiblesse des Capétiens devant leurs vassaux, et à rendre impossible une manipulation de la succession par le roi en titre, son fils sacré étant par là roi.
2) En second lieu, le sacre permet au principe de primogéniture de se perpétuer : depuis 1017, il protège l’aîné des fils contre les éventuelles prétentions des puînés. D’ailleurs, s’il y a eu débat en 1017 (mort de Hugues, aîné de Robert le Pieux) sur cette modalité de l’hérédité qu’est la primogéniture, c’est que l’hérédité était bien assise. Et lorsqu’en 1223 Philippe Auguste abandonne la pratique du sacre anticipé et de l’association, est consacrée la coutume de l’hérédité avec primogéniture et non le seul principe héréditaire.
3) Enfin, le sacre qui ratifie nécessairement le pouvoir de l’aîné, surdétermine par sa valeur légitimante l’hérédité et la primogéniture : il leur fait revêtir une nature particulière qui les distingue de la succession féodale de droit commun, amorçant ainsi le statut spécifique de la succession à la Couronne.

La loi coutumière de la masculinité

Une analyse classique peu satisfaisante

En ce qui concerne maintenant la coutume de masculinité, constatons — au contraire de celle d’hérédité dont la consécration doit seulement être placée plus loin dans le temps — que sa formation telle qu’elle est traditionnellement expliquée est peu satisfaisante. Quelle est l’analyse donnée ?

En 1316, à la mort de Louis X, faute de descendants mâles en ligne directe, la succession doit-elle échoir à sa fille Jeanne, une sous-âgée, ou à son compétiteur Philippe, frère du roi défunt et pour l’heure régent ?

Retenons que ce dernier se fait reconnaître roi et sacrer au début de 1317. Par cet acte qui serait un précédent, l’exclusion des filles de la succession profite au collatéral mâle le plus proche : la masculinité et l’agnation sont concomitantes.

Cette règle ne va pas tarder à jouer en 1322 et 1328. à cette date, à la mort de Charles IV, lui aussi doté de filles, la coutume est consacrée : son successeur sera un mâle et le collatéral le plus proche. Cette succession enclenche des événements graves dans leurs conséquences politiques (la guerre de Cent Ans) mais qui juridiquement ne sont que le soubresaut de ceux de 1316.

En application de la coutume, il n’est de successeur possible qu’un collatéral du roi Charles IV. Celui-ci se présente sous les traits du roi d’Angleterre, neveu du roi défunt, donc parent au troisième degré, mais par sa mère sœur de Louis X. La logique juridique le repousse, son titre à succéder étant inexistant puisque sa mère était incapable de lui transmettre un droit que la coutume de masculinité lui refusait.

L’événement de 1328 montre que le principe de masculinité est complété par celui de la filiation masculine. En conséquence Philippe de Valois, parent au quatrième degré, mais par les mâles, monte sur le trône.

Comment s’est consacrée cette coutume ? La crise de 1316 semble créer le droit, c’est-à-dire la règle de masculinité. En effet entre les deux compétiteurs, se sont les faits et la volonté du régent qui tranchent, déterminant un précédent, lequel répété en 1322 et 1328 aurait créé la coutume. Mais dans ce cas, le processus de formation répond imparfaitement à la substance de la coutume : nous avons un usage embryonnaire dont on peut douter qu’il corresponde à la nécessité objective du corpus et une opinio necessitatis dont l’immédiateté laisse envisager que loin d’être un sentiment éprouvé d’avoir à se conformer à un usage, il s’analyse en un assentiment explicite à une volonté décrétant la coutume, la volonté du régent Philippe approuvée par une assemblée de notables.

La coutume serait donc produite en ce cas par les instances politiques se décidant en fonction de circonstances précises. Alors que nous savons que cette source de droit est bien plutôt une pratique, conservée en usage, enfin explicité juridiquement. Si l’on suit cette définition, le « précédent » de 1316 et sa répétition consacrent une coutume sous l’influence d’inspirations directrices plus ou moins anciennes et plus ou moins conscientes dont les événements sont le révélateur.

Certes nous observons que la solution favorable à la masculinité s’inscrit dans un ensemble circonstanciel :
– le jeune âge de Jeanne qui eût ouvert une minorité, jamais souhaitée ;
– l’accusation de bâtardise proférée contre elle, sa mère étant réputée adultère ;
– l’invocation de la faiblesse de son sexe ;
– son éventuel mariage avec un prince étranger au sang capétien ;
– enfin et surtout l’audace et la détermination du régent.

Ces circonstances, sans nul doute, sont déterminantes, non pour établir ou créer le principe de masculinité mais pour le faire reconnaître. Elles révèlent au grand jour des croyances et des pratiques traditionnelles de la royauté, elles servent à faire passer l’idée de masculinité du domaine de l’implicite au domaine de l’explicite en l’établissant en coutume.

De la pertinence d’une explication prenant en compte la mentalité traditionnelle

Le processus de sa formation est alors tout autre.
– Il faut d’abord faire appel à une mentalité inductive : à partir du moment où une pratique plus ou moins ancienne est un usage, s’affirme la conviction de son caractère juridique.
– Mais en même temps il convient de recourir à une mentalité déductive : en effet si une pratique devient usage, c’est parce qu’elle correspond à des croyances qui sont l’amorce de l’opinio necessitatis.

Quelles sont ces croyances ?
– Il parait naturel que celui qui, depuis des siècles, se courbe devant Dieu le jour du sacre pour être investi d’une mission quasi-sacerdotale, soit un mâle.
– En outre, au moyen âge et depuis l’Antiquité, prévalent des doctrines anthropologiques qui démontrent que le fils est la reproduction du père : par conséquent la dévolution successorale ne peut être que masculine, ce que confirme la longue pratique d’exclusion des filles aînées lorsqu’un puîné existait.
– Enfin la force du sentiment dynastique depuis les premiers Capétiens donne toute son importance à la descendance mâle en raison de la crainte de voir la fille, par son mariage, emporter avec elle le patrimoine dynastique.

Dans la seconde moitié du XIVe siècle, Richard le Scot et Raoul de Presles ont justifié cette coutume par la vieille loi salique des Francs qui excluait les filles de la succession à la terre allodiale ou ancestrale. Nous savons que cet argument est dénué de toute valeur juridique. Néanmoins il est habile et intéressant en ce qu’il laisse entendre que la coutume de masculinité est fondée sur le temps et des préjugés lointains ; à une époque où la tradition a toute sa place, la loi salique offre une antiquité respectable et par-là quasi-légitimante ; cette loi, respectable par sa durée, présente une valeur d’analogie que son antiquité charge aisément de symbole : ni les Francs saliens, ni les Français du XIVe siècle ne voulaient que la fille risquât d’emmener avec elle le patrimoine ancestral.

La loi coutumière gage de stabilité

Par ces deux exemples, il apparaît que la coutume est l’expression d’une réalité vivante et antérieure qui se déploie progressivement jusqu’à acquérir une dimension juridique. Par là la coutume successorale, gage de stabilité et de permanence, protège le status regis et donc l’ordre du royaume contre tout acte ou volonté perturbateurs des traditions monarchiques.

Jean Barbey

 

  1. Cicéron, cité par saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I-II, La loi, question 91, traduction française par M.-J. Laversin O.P., Éditions de la revue des jeunes, Société Saint Jean l’Évangéliste, Desclée et C, Paris Tournai Rome, 1935, p. 38-39.
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