Principe du moteur de la Révolution

Principe du moteur de la Révolution Le piège fatal du suffrage universel

Nombreux sont les catholiques et/ou les monarchistes qui, par le biais du suffrage universel, espèrent restaurer la cité traditionnelle — ou du moins freiner la Révolution. Il suffirait pour cela d’une campagne électorale, ou d’un lobbying bien mené. Difficile en effet de résister à la tentation de prendre l’adversaire à son propre piège, en utilisant l’arme qu’il met à notre disposition, à savoir le suffrage universel. Et pourtant, ce serait se méprendre tragiquement sur la nature de l’arme de l’ennemi, car elle corrompt tous ceux qui en usent. Le document suivant essaie de dégager le principe du moteur de la Révolution. [La Rédaction]

Introduction

Au cours de cette étude, nous tenterons de modéliser le fonctionnement du processus révolutionnaire.
Un modèle est une description, une représentation de la réalité destinée à nous la rendre intelligible. Si un modèle n’a jamais la prétention de s’identifier à la vérité — à une connaissance parfaite d’un phénomène, d’un processus ou d’une chose —, en revanche il permet d’acquérir davantage de vérité sur l’objet de l’étude.
Or, le phénomène révolutionnaire, par son ampleur et le caractère inexorable de sa propagation, semble confirmer la croyance de ses promoteurs selon laquelle il y aurait un sens de l’histoire, un progrès de l’humanité. Au contraire, il apparaît presque inintelligible au penseur traditionaliste, à telle enseigne que certains sont tentés d’expliquer son expansion par la seule intervention surnaturelle de forces démoniaques. La question se pose donc : toute cité traditionnelle serait-elle condamnée à disparaître définitivement ?
Par ailleurs, la Révolution française qui voit le renversement d’une monarchie plus que millénaire, née de l’alliance du Trône et l’Autel, du pacte de Tolbiac entre Clovis et Dieu, cette Révolution constitue un événement si considérable, que les défenseurs de la France traditionnelle en arrivent à s’appeler eux-mêmes « contre-révolutionnaires ». Ils se définissent donc par rapport à leur ennemi, comme s’ils avaient perdu leur identité.
Ceux-là, parce qu’ils oublient les principes traditionnels, sont tentés de battre la Révolution sur son propre terrain, et avec les outils qu’elle met à leur disposition comme le suffrage universel. Cependant le vote, pratiqué dans ces conditions, est-il une arme aussi neutre qu’ils le croient ou le prétendent ? Est-il sans effet sur celui qui l’utilise ?
Pour répondre à ces questions, et puisqu’il s’agit d’une guerre entre un monde traditionnel et un monde révolutionnaire, nous commencerons par consulter un guerrier illustre, le général chinois Sun Tzu (VIe siècle av. J.-C.) Dans son ouvrage L’Art de la Guerre ce dernier déclare :

Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait ; qui ne connaît pas l’autre mais se connaît sera vainqueur une fois sur deux ; qui ne connaît pas plus l’autre qu’il ne se connaît sera toujours défait1.

Il nous faut donc commencer par tenter de bien identifier les deux forces en présence.

Les deux cités

Une distinction traditionnelle

Il faut reconnaître dans le Berbère saint Augustin (354-430) l’un des principaux artisans de l’Occident chrétien, et son chef d’œuvre La Cité de Dieu, reste une référence dans les sciences politiques. Dans cet ouvrage, l’évêque d’Hippone distingue deux cités :

Deux amours ont bâti deux cités ; l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu fit la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi fit la cité de Dieu2.

Le médiéviste Lemarignier (1908-1980) commente :

La cité de Dieu, c’est la cité des justes qui cherchent le Royaume de Dieu avant de faire partie, dans le ciel, du nombre des élus. À cette cité de Dieu, civitas Dei, saint Augustin oppose la cité terrestre, civitas terrena, qui groupe ceux qui ne cherchent pas le Royaume de Dieu. Aux uns et aux autres, il a donné le nom mystique de « cité »3.

Avec l’avènement de la modernité, l’amour de soi prend sa revanche, les Lumières le dotent d’un corpus doctrinal et politique qui produit un type de société inédit dans l’histoire de l’humanité : Dieu y est absent des institutions et relégué dans la sphère privée.
Pour faire écho à l’ancienne distinction augustinienne et pour rendre compte de l’apparition de cette nouveauté, des sociologues, des historiens et des philosophes ont introduit les concepts d’hétéronomie et d’autonomie.
La société hétéronome trouve sa justification, sa légitimité hors d’elle-même, dans la divinité. Jean-Luc Chabot, juriste et professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris, précise :

Les sociétés dites hétéronomes fonctionnent […] sur la base d’un système de valeurs découlant d’un principe qui leur est à la fois extérieur et supérieur […], elles sont marquées par la transcendance de la divinité au regard de la vie humaine et de son organisation sociale4.

Tel est le cas de la France monarchique où Jésus-Christ est reconnu institutionnellement vrai roi par son lieutenant lors de la cérémonie du sacre. Cette société chrétienne mérite donc pleinement la qualification de cité de Dieu.
La société autonome trouve sa justification, sa légitimité, en elle-même, et en fin de compte, dans l’homme.

Au sein [des] sociétés d’Europe occidentale s’est développé à partir du XVIe siècle un dessein d’autonomie, non pas seulement du pouvoir civil par rapport au pouvoir ecclésiastique, mais bien plus fondamentalement de la société humaine prétendant se constituer en principe d’elle-même.
Un tel propos visait implicitement à opérer un transfert de l’absolu de la transcendance religieuse au profit de l’immanence politique et sociale, à substituer une normativité fondée sur l’altérité religieuse par une normativité purement humaine, ayant une prétention à s’autolégitimer soit par la raison individuelle, soit par l’ordre social5.

C’est le cas des sociétés issues des trois idéologies révolutionnaires de 1789 : le libéralisme, le nationalisme et le socialisme. Nous appellerons cette société inédite issue de la modernité, la « cité de l’homme-dieu ». Le philosophe et ancien ministre Luc Ferry (né en 1951) affirme dans L’Homme-Dieu ou le sens de la vie que les sentiments qui émergent de la modernité…

… témoignent d’un rapport nouveau au sacré : une transcendance inscrite dans l’immanence à la subjectivité humaine, dans l’espace d’un humanisme de l’homme-Dieu6.

Par nature, l’objet du combat entre ces deux cités est une conception radicalement opposée de ce qu’est l’être humain et de sa place dans le monde.

La conception chrétienne de l’homme

Il existe une seule nature humaine à travers les âges. De la lecture des textes bibliques, en passant par ceux de l’antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, on constate que l’homme ne change pas : il se pose toujours les mêmes questions, éprouve les mêmes sentiments, il est toujours le siège des mêmes passions, des mêmes détresses et des mêmes espoirs.
La morale naturelle est une science fondée sur l’observation du comportement humain. Son principe part du constat — énoncé entre autres par Aristote — que « l’homme est par nature un animal politique7 ». Cette science étudie la hiérarchie dans les actes humains pour parvenir au bonheur maximum. Quand il traite de la loi naturelle, saint Thomas dit tout simplement :

Il y a en tout humain une inclination naturelle à agir conformément à sa raison. Ce qui est proprement agir selon la vertu8.

L’intelligence de l’homme a été obscurcie par le péché originel, et à cause de ses passions, il est souvent tenté de justifier ses actes mauvais contre sa raison, contre la morale naturelle. Pour l’aider à se repérer et grâce à la Révélation, Dieu — le Créateur — lui a fait cadeau des dix commandements résumés dans le commandement d’amour de Dieu et du prochain.
En tant que créateur, Dieu est la source du pouvoir. Jésus dit à Pilate :

Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait été donné d’en haut9.

Saint Paul confirme :

Tout pouvoir vient de Dieu10.

Dieu est le principe et la fin de toute chose :

Au commencement était le Verbe11.

Enfin, si le sacrifice de Jésus Christ a permis la Rédemption du genre humain, le salut est individuel, et réclame de nous-mêmes une acceptation de notre nature : Dieu nous a voulus animaux politiques. Or, la vie en société n’est possible que parce que nous avons besoin les uns des autres, parce que nous sommes différents et donc inégaux.

La conception révolutionnaire de l’homme

Il n’existe pas de nature humaine, l’homme évolue continuellement à travers les âges vers quelque chose de supérieur. C’est la théorie de l’évolutionnisme, le mythe du progrès de l’humanité. Mais vers quoi l’homme peut-il progresser, si ce n’est vers une sorte d’état angélique puis divin ?
Il ne saurait y avoir de morale fixe. Mieux, l’homme moderne estime superbement qu’il est parvenu à la phase adulte de son évolution, il doit donc s’affranchir de cette morale d’un autre âge, élaborée par l’esprit archaïque, frustre et masochiste de nos ancêtres. L’évolution est inéluctable, c’est le fameux sens de l’histoire.
La Révolution permet d’accélérer la prise de conscience par l’humanité de sa grande destinée. L’homme en marche vers la divinité peut enfin décider pour lui-même. Le philosophe hégélien allemand Feuerbach (1804-1872) déclare :

L’être absolu, le Dieu de l’homme, c’est l’être même de l’homme12.

L’homme de la modernité s’affirme désormais être la source du pouvoir comme le déclare l’article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1791 :

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation.

Et l’article II du titre III de la Constitution de 1791 renchérit :

La Nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs […]

Mgr Gaume résume ainsi la doctrine révolutionnaire :

Je suis la haine de tout ordre religieux et social que l’homme n’a pas établi, et dans lequel il n’est pas roi et dieu tout ensemble ; je suis la proclamation des droits de l’homme contre les droits de Dieu ; je suis la philosophie de la révolte, la politique de la révolte, la religion de la révolte ; je suis la négation armée ; je suis la fondation de l’état religieux et social sur la volonté de l’homme au lieu de la volonté de Dieu ; en un mot, je suis l’anarchie, car je suis Dieu détrôné et l’homme mis à sa place. Voilà pourquoi je m’appelle Révolution, c’est-à-dire renversement, parce que je mets en haut ce qui, selon les lois éternelles, doit être en bas, et en bas ce qui doit être en haut13.

Le ministre franc-maçon et positiviste Jules Ferry (1832-1893) ne dit pas autre chose :

Mon but, c’est d’organiser l’humanité sans Dieu et sans roi14.

La Révolution se présente à elle-même comme un mouvement permanent et éternel : « Au commencement était l’action15» selon la parole célèbre de Faust dans la tragédie du franc-maçon Gœthe (1749-1832).
L’État révolutionnaire se pose en rédempteur et prétend apporter un salut collectif par la réalisation de l’égalité. Jules Ferry déclare encore :

Qu’est-ce d’abord que l’égalité ? C’est la loi même du progrès humain ! C’est plus qu’une théorie : c’est un fait social, c’est l’essence même et la légitimité de la société à laquelle nous appartenons. En effet, la société humaine n’a qu’une fin dernière : atténuer de plus en plus, à travers les âges, les inégalités primitives données par la nature16.

Problématique au sujet de la pérennité du processus révolutionnaire

Cependant, si la Révolution s’affranchit de la nature, si elle n’est pas naturelle :
– Comment expliquer sa pérennité depuis plus de deux siècles ?
– Comment se fait-il que le nombre de partisans de la cité de l’homme-dieu ne cesse d’augmenter ?
– Comment expliquer ce mouvement artificiel et permanent de conversion des esprits de la cité de Dieu à la cité de l’homme-dieu ?
Or un mouvement artificiel et permanent ne peut être entretenu que par un moteur. D’où cette idée de modéliser le phénomène révolutionnaire par un moteur.

Le moteur de la Révolution

Fonctionnement d’un moteur

Les sciences physiques nous apprennent que les moteurs fonctionnent grâce à deux types de grandeurs :
– Une différence de potentiels (ou de pôles), c’est la ddp.
– Un courant (ou débit) qui parcourt un conducteur.

Donnons quelques exemples :
Un moteur électrique fonctionne grâce à :
– Une tension, ou différence de potentiels électriques (pôles plus et moins).
– Un courant électrique qui passe d’un pôle à l’autre par un conducteur électrique.
Un moteur thermique fonctionne grâce à :
– Une différence de potentiels thermiques (source chaude, source froide).
– Un courant thermique qui passe de la source chaude à la source froide par un conducteur thermique.
Un moulin à eau fonctionne grâce à :
– Une dénivellation, ou différence de potentiels d’altitude (le haut et le bas)
– Un courant d’eau qui passe du haut vers le bas par un canal conducteur.
On peut donc supposer qu’il en va ainsi avec la Révolution qui est un mouvement d’idées. Selon ce schéma, le moteur révolutionnaire fonctionnerait grâce à :
– Une différence de potentiels dans l’ordre des idées (thèse, antithèse).
– Un courant d’opinions qui passeraient de la thèse à l’antithèse, de la cité de Dieu à la cité de l’homme-dieu.
Il nous reste donc à préciser la ddp et le conducteur de ce courant.

La ddp révolutionnaire : la haine dans l’inégalité

Le révolutionnaire qui veut hâter l’évolution de l’homme se heurte d’abord à l’inertie de la nature humaine. Pour « changer les mentalités », « faire bouger la société », susciter le mouvement, la méthode consiste à :
– faire « prendre conscience » des inégalités (ddp) entre les personnes;
– placer les individus dans une attitude mentale de révolte avec un argument moteur : inégalité est synonyme d’injustice.
À cet effet, on cherche à mettre de la haine dans les différences qui existent naturellement entre les personnes (différences d’âge, de sexe, de classe sociale, de sagesse, de richesse, de connaissance…).
Vers 1840, à l’aube des systèmes démocratiques, Tocqueville (1805-1859) s’étonne de cette passion pour l’égalité :

Le fait particulier et dominant qui singularise ces siècles, c’est l’égalité des conditions ; la passion principale qui agite les hommes dans ces temps-là, c’est l’amour de cette égalité17.

Il en induit — comme conséquence logique — l’essor de cet individualisme qui ronge nos sociétés modernes et que tout le monde déplore sans en vouloir reconnaître l’origine :

L’individualisme est d’origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s’égalisent18.

Quand dans une société traditionnelle les inégalités naturelles sont sources d’échanges et de richesses pour tout le monde, dans la société révolutionnaire, elles deviennent des facteurs d’oppositions, de luttes, de thèse/antithèse. La haine, la jalousie, l’égoïsme de part et d’autre, creusent les différences jusqu’à les rendre insupportables.
Dès lors, la révolte éclate et conduit la plupart du temps à une égalité imposée et artificielle dans laquelle persiste l’état de haine. En effet, l’autre est toujours suspecté de vouloir jouir d’un avantage qu’on n’aurait pas soi-même, et cette idée est insupportable. Souvenons-nous de ces paroles terribles du philosophe marxiste Herbert Marcuse (1898-1979) :

Il n’y a pas de doute qu’un mouvement révolutionnaire donne naissance à une haine sans laquelle la révolution n’est tout simplement pas possible, sans laquelle aucune libération n’est possible. Rien n’est plus révoltant que le commandement d’amour « Ne hais pas ton ennemi » dans un monde ou la haine est partout institutionnalisée. Au cours du mouvement révolutionnaire, cette haine peut naturellement se muer en cruauté, en brutalité, en terreur. La limite est, en ce domaine, terriblement mobile19.

Les trois idéologies révolutionnaires présentent cette passion de l’égalité :
– Le socialisme oppose la classe prolétarienne déifiée à la classe bourgeoise de façon à aboutir à la dictature mondiale du prolétariat où est censée régner l’égalité. En fait, on sait ce qu’il en est : une élite non naturelle (la nomenklatura) opprime la cité.
– Le nationalisme oppose la nation déifiée aux autres peuples. Les révolutions nationalistes conduisent toujours à la guerre expansionniste : la Révolution française déclare la guerre à l’Europe ; il en va de même pour les révolutions de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste… À l’intérieur de la nation règne une égalité particulière : l’uniformité. On combat impitoyablement les minorités et les identités régionales, car elles sont considérées comme autant de facteurs de divisions.
– Le libéralisme oppose les individus-dieux entre eux. Chaque personne est libre absolument, l’individualisme triomphe : l’autre est celui qui vient limiter notre liberté. Il faut donc s’affranchir de son autorité naturelle que son égoïsme peut rendre odieuse. Des conflits artificiels sont ainsi créés entre homme et femme, parent et enfant, enseignant et élève, prêtre et fidèle, patron et ouvrier …
Lorsqu’on perd de vue l’idée de bien commun, la hiérarchie n’est plus justifiée, ce qui amène à la revendication de l’égalité absolue.

Le conducteur du courant révolutionnaire : le suffrage universel

L’expérience montre qu’établir de façon trop affichée, trop brutale ou trop autoritaire la cité de l’homme-dieu, aboutit à une panne du courant de conversion des esprits à la Révolution :
– Échec de la Convention dans sa tentative d’imposer le culte de la déesse Raison.
– Échec des révolutions socialistes avec leur matérialisme scientifique.
– Échec des révolutions nationalistes lorsque la guerre tourne à leur désavantage.
La démocratie libérale, parce qu’elle effectue ses réformes en douceur, se révèle un moteur révolutionnaire bien plus performant que les idéologies nationalistes et socialistes :
– Afin de ne pas effaroucher l’opinion et pour réaliser l’égalité — et la liberté — elle s’attaque à l’ordre naturel par petites étapes. Pour exemple, le divorce, l’avortement, le « mariage » des homosexuels, l’euthanasie, l’infanticide, ne seront pas légalisés en même temps mais peu à peu…
– Pour parer toute contestation, grâce au suffrage universel, elle laisse croire aux personnes qu’elles ont elles-mêmes souhaité ces changements. Il suffit pour cela de travailler l’opinion à grands coups de campagnes médiatiques en suscitant des ddp, puis d’invoquer les mythes de la volonté générale, du sens de l’histoire, du progrès de l’humanité.
– Pour détourner l’attention du véritable enjeu (la cité de l’homme-dieu contre la cité de Dieu), elle crée une opposition artificielle, la ddp Droite/Gauche dans laquelle elle occupe la place centrale — celle de l’arbitre — et place ses idéologies concurrentes socialisme et nationalisme) ainsi que les formes bâtardes : social démocratie, libéral nationalisme, national socialisme…
À cause de leurs oppositions apparentes, on oublie que ces idéologies ont toutes pour finalité l’homme-dieu, et la cité de Dieu perd ses combattants dans des batailles électorales qui ne les concernent pas.
Ainsi la démocratie libérale — grâce au suffrage universel et à la ddp Droite/Gauche — entretient un courant permanent de conversion des esprits à la Révolution. Le moteur tourne, tourne, tourne.

L’épouvantable piège du suffrage universel

La démocratie libérale est-elle une religion ?

La supériorité de la démocratie libérale sur ses deux idéologies concurrentes tient à ce que sa finalité (la cité de l’homme-dieu) se réalise dans son fonctionnement même :
– Par le suffrage universel, indépendamment de l’âge, de la compétence, de la sagesse, tout individu est appelé à se prononcer sur la destinée de la cité, en élisant des hommes qu’il ne connaît pas, et qui représentent des idéologies dont il ignore tout.
– Par référendum, on lui demande son avis sur ce qui relève de la morale naturelle (avortement, euthanasie…) ou de décider du sort de ce qui ne lui appartient pas, telle la disparition du pays dans l’Europe.
Aucune référence morale n’est reconnue a priori, aucun ordre naturel ne sert de point de repère. En bon disciple du démocrate et sophiste grec Protagoras, le votant finit par penser que…

… l’homme est la mesure de toute chose20.

Peu à peu et à son insu, par la pratique même du vote, il s’accoutume à l’idée qu’il est lui-même la source de la vérité, qu’il peut décider de ce qui est le bien et le mal. Or, ce privilège ne revient-il pas à l’Auteur de toutes choses, à Dieu Lui-même ? De fait, objectivement, le votant se substitue à Dieu, il est l’homme-dieu.
Souvenons-nous de la chute d’Adam :

Le serpent répliqua […] « le jour où vous en mangerez [de ce fruit], vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal21. »

Et le franc-maçon Oswald Wirth (1860-1943) de s’en féliciter :

Le serpent séducteur symbolise un instinct particulier […] dont le propre est de faire éprouver à l’individu le besoin de s’élever dans l’échelle des êtres. Cet aiguillon secret est le promoteur de tous les progrès22.

Le péché originel fut le péché d’orgueil de l’homme qui voulait être maître du bien et du mal, qui refusait sa nature humaine. S’attribuer une compétence que l’on ne possède pas, n’est-ce pas là, la définition même de la présomption, de l’orgueil ? À chaque fois qu’il vote pour ou contre quelque chose qui ne relève pas de sa compétence, le citoyen commet donc un acte d’orgueil. De cette façon, chaque votant constitue une pierre d’orgueil qui sert à l’édification d’une gigantesque tour d’orgueil : la démocratie universelle, la tour de Babel, la tour de l’Homme-Dieu23. Tout cela sous l’œil attentif du Grand Artisan de la révolte, ce premier qui a dit « Non serviam » (je ne servirai pas !).

La démocratie s’identifierait-elle donc à la religion de l’homme ?

Comme une religion, la démocratie libérale n’a-t-elle pas :
– Son dogme : le dogme de la volonté générale comme source du pouvoir. À l’instar d’un J.-M. Le Pen, ne clame-t-elle pas :

Depuis que le pouvoir ne se fonde plus en Dieu mais dans le peuple, c’est lui qui doit faire l’objet de toutes nos considérations24.

– Son credo : la Déclaration universelle des droits de l’homme.
– Son sacrement : la grand-messe du suffrage universel.
Augustin Cochin (1876-1916) ne s’exprime pas autrement en commentant le Contrat social de Rousseau :

Nous serions perdus, dit le christianisme, sans un secours d’en haut, nous ne sommes pas de force à nous sauver à nous seuls. Et de même Jean-Jacques : nous sommes incapables de dégager de nous-mêmes la volonté générale et de la suivre. Il nous faut le secours extérieur de la loi (grâce), effet du vote (sacrement) qui crée en nous l’homme nouveau. […]
Ainsi le Contrat social n’est pas un traité de politique, c’est un traité de théologie, la théorie d’une volonté extranaturelle, créée dans le cœur de l’homme naturel, substituée en lui à sa volonté actuelle, par le mystère de la loi, accompli au sein de la société contractuelle, ou volontaire, ou de pensée, sous les espèces sensibles du sacrement de vote25.

La solution suicide : Le parti catholique

La tentation est quelquefois grande de vouloir prendre la démocratie à son propre piège, de constituer un pôle catholique et de lutter contre la Révolution avec ses propres armes (campagnes, lobbying, slogans, élections, pétitions…) L’histoire nous montre pourtant que jamais aucune tentative n’a abouti, même en ayant des conditions favorables.
Souvenons-nous de cette funeste affaire du Ralliement de l’Église à la République en 1892. La France de cette époque est catholique dans son immense majorité, et pourtant, le pays est dirigé par la IIIe République violemment antichrétienne. L’élite catholique est monarchiste. Aussi le pape Léon XIII fait-il le calcul suivant : l’Église n’est tributaire d’aucun type de gouvernement (monarchie, aristocratie, république). Donc, si on oblige moralement les catholiques à voter, il est mathématique que leurs élus seront majoritaires et la République deviendra chrétienne. De ce fait, après le Ralliement, tous les catéchismes font du vote un devoir du chrétien.
On connaît la suite… En 1893 le nombre des députés catholiques passe en effet à deux cents, mais six mois plus tard, il retombe à 97. Aucun ministère n’est concédé aux ralliés et les lois antireligieuses reprennent de plus belle.
Plus d’un siècle plus tard, le bilan est accablant :
– La France est toujours révolutionnaire.
– Le parti catholique a disparu dans la nature, et l’on trouve des députés qui se prétendent chrétiens dans tous les partis de l’échiquier politique. Ils en ont épousé les idéologies respectives.
– Les catholiques en France sont devenus minoritaires.
Quelles sont les raisons de ce désastre ? Pourquoi le parti catholique soutenu par le pape, avec un rapport de forces écrasant, a-t-il échoué ? À la lumière de l’étude précédente, nous donnerons deux réponses liées.
Premièrement, créer un parti chrétien qui utilise les règles du jeu du système démocratique, rend à ce dernier l’éminent service d’apporter la contradiction, de susciter une nouvelle ddp. Cela engendre de nouvelles possibilités de mouvement d’idées. Le suffrage universel pratiqué par les chrétiens remplit alors parfaitement son rôle de conducteur du courant de conversion des esprits à la Révolution.
Secondement, à la manière de Léon XIII, il serait dangereux de ne considérer dans la démocratie qu’un mode de gouvernement. Nous avons vu qu’elle était essentiellement une religion, celle de l’homme-dieu. Comprenons bien que le révolutionnaire se moque éperdument pour qui l’on vote, pourvu que l’on vote. L’important est de pratiquer (praxis) cet acte d’orgueil. Il sait qu’ainsi s’opérera dans les âmes une transformation intérieure à la manière de celle produite par un rite.
Par le suffrage universel, le membre du parti catholique est conduit à adopter l’attitude mentale du révolutionnaire qui n’a d’autre maître que lui-même. Il pratique l’acte révolutionnaire tout en prétendant lutter contre la Révolution. Alors, à son insu, il agit comme un homme-dieu, et si cette schizophrénie ne lui fait pas perdre la foi, les risques sont bien plus grands pour ses enfants.
N’oublions jamais que l’on finit toujours par penser comme on agit, c’est d’ailleurs en cela que réside l’extraordinaire importance du rituel religieux. Les deux exemples suivants ne sont-ils pas significatifs ?
– Se félicitant du taux de participation record au référendum sur le traité de Maastricht, lors même que le « oui » n’avait remporté qu’un tout petit 51 %, le quotidien Ouest-France annonçait en première page :

UNE GRANDE VICTOIRE POUR LA DÉMOCRATIE.

– Dans le Courrier de l’Ouest daté du 8 janvier 1988, le grand-maître du Grand-Orient, Jean-Robert Ragache, titrait ainsi son article :

UN SEUL MOT D’ORDRE POUR L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE : VOTER !

Traduisons : Peu importe que vous votiez à droite ou à gauche, ou même à l’extrême-droite… nous voulons seulement que vous votiez !

Comment arrêter le moteur révolutionnaire ?

Dire la vérité et dénoncer l’imposture de l’homme-dieu

Il importe en premier lieu de rétablir les choses à leur juste place. Premièrement, il faut reconnaître notre condition de créature entièrement dépendante de Dieu. Il faut accepter notre nature d’homme (animal politique) et essayer d’agir conformément à ce qu’elle demande. C’est la condition pour accéder au bonheur maximum en ce monde, et au bonheur éternel dans l’autre. À cet effet, notre idéal doit être le respect des dix commandements — qui sont un résumé de la loi naturelle — et du commandement d’amour de Dieu et du prochain.
Deuxièmement, il faut dénoncer cette imposture qui fait de l’homme le maître du bien et du mal.
– Dans la cité de Dieu, à cause du péché originel, il y a toujours des fautes contre notre nature (et donc contre les commandements de Dieu), mais elles sont reconnues comme telles et regrettées.
– Dans la cité révolutionnaire, afin de donner libre cours à ses passions désordonnées, et pour se donner bonne conscience, l’homme décide qu’il n’y a plus de péché. Il est à la fois juge et partie. Sa morale est subjective, sur mesure, et non plus objective. Or, le plus grand des péchés n’est pas tant d’aller contre une loi de Dieu, mais de dire que cette loi n’existe pas, car à partir de là, tout est permis.
Troisièmement, il faut dire la vérité haut et fort, sans concession : la vérité est une, on ne peut pas en prendre et en laisser à notre guise, nous n’en sommes pas maîtres. Or, dans le jeu démocratique, « il faut faire masse si l’on veut faire entendre sa voix ». Aussi le chrétien entre-t-il dans le parti dont il juge l’idéologie la plus acceptable. Pour ne pas heurter ses nouveaux amis, il est conduit à faire des concessions, à taire certains points de la doctrine qui ne sont pas dans l’air du temps ; d’ailleurs il finit par oublier ces détails gênants. Il est remarquable que tous les partis comptent des catholiques parmi leurs membres, mais aucun n’affiche la doctrine du Christ-Roi dans son programme. On en déduit que ces chrétiens engagés ont honte d’une partie de la vérité révélée et qu’ils l’ont censurée. Par là même, ils se rendent en quelque sorte maîtres de la vérité, ils savent mieux que Notre-Seigneur ce qui est bon pour nous : ils sont donc devenus, eux aussi des hommes-dieux.
À propos de cette tentation ne ne professer qu’une doctrine édulcorée, le cardinal Pie (1815-1880) déclare :

Avec un demi-christianisme on ne sauvera rien : les demi-moyens et les demi-remèdes n’ont plus d’efficacité. […] Et moi je déclare qu’avec un minimum de religion, le salut public est devenu impossible. Être franchement, pleinement chrétien, dans la croyance comme dans la pratique, affirmer toute la loi doctrinale comme toute la loi morale, c’est nécessaire; mais ce nécessaire sera efficace26.

Pour réduire la DDP : Mettre de l’amour dans les différences

Si notre devoir exige de demeurer intransigeant avec les principes, il comporte également d’être indulgent avec les personnes et d’accepter les inégalités naturelles qui proviennent de ce que nous sommes limités : nous avons tous des défauts, des infirmités mais aussi des expériences, des compétences et un passé différents.
L’Évangile nous dit « Heureux les artisans de paix27 » : à l’inverse du révolutionnaire et conformément au commandement du Christ, le chrétien mettra de l’amour dans les différences naturelles et apaisera les tensions sociales. Il ne s’agit pas de faire disparaître les inégalités naturelles, et ceci précisément parce qu’elles sont dans notre nature. En effet, c’est grâce à ces inégalités que la vie sociale est possible. Tout au long de notre vie, n’avons-nous pas besoin les uns des autres ?
– Dans l’enfance et l’adolescence pour notre éducation.
– À l’âge adulte, car nous n’avons pas toutes les compétences.
– Au soir de notre vie, car nous sommes diminués.
Ainsi, c’est l’amour du prochain qui donne son bonheur, sa prospérité, sa richesse à la société. Contrairement à ce que prétendent les chrétiens libéraux, Jésus-Christ n’est jamais venu abolir les inégalités, Il affirme Sa royauté et Sa supériorité hiérarchique tout en donnant l’exemple à suivre :

Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et Maître, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres28.

Le devoir du chrétien est donc de servir ses frères dans l’amour du Christ, chacun à son niveau. De cette façon, il œuvre pour le bien commun, il essaie que tous mènent une vie vertueuse dans l’unité de la paix, il réalise ainsi la cité de Dieu.

Pour tarir le courant de conversion des esprits à la Révolution : Cesser de voter

Depuis deux cents ans, les combattants de la cité de Dieu s’épuisent dans les combats démocratiques et leur nombre ne cesse de diminuer. Nous en avons analysé la raison :
– La règle du jeu démocratique est truquée, elle est la machine à perdre les chrétiens.
– La pratique du vote, sans les compétences requises, constitue un acte d’orgueil qui aboutit à une usurpation de la place de Dieu et à l’acceptation des idéologies.
Voter, c’est reconnaître la règle du jeu, la loi du nombre, c’est donner crédit au mythe de la volonté générale. C’est accepter la validité de la condamnation du Christ par la foule. Le Juste, le Doux, l’Innocent n’est-il pas mort par plébiscite, par la pression démocratique, parce que Dieu n’était pas à la hauteur des misérables ambitions des prêtres et des pharisiens ? Ce qui est ignoble, ce n’est pas seulement le résultat du choix populaire — la condamnation de Dieu —, mais c’est principalement le fait que ce choix ait été accordé au peuple. C’est d’ailleurs en cela que réside le crime du très libéral Pilate.
Mais de nos jours, ne sommes-nous pas confrontés à la même situation ? Pour exemple, lorsqu’un un pays organise un référendum sur l’avortement, voici ce que l’on entend parmi les catholiques conscients du caractère monstrueux de cette consultation électorale29 : « Je sais que voter dans cette situation est intrinsèquement mauvais, cependant si je puis grâce à cela sauver des vies… » Résultat : de toute façon le « oui » sera voté, sinon la Révolution répétera l’opération jusqu’à ce que le « oui » soit obtenu, et ce sera définitif, car on n’arrête pas le « sens de l’histoire ». Et nos catholiques de se lamenter et de lever les bras…
Cette attitude réactionnaire est irresponsable, car ce n’est pas contre l’avortement qu’il faut se battre, c’est contre les institutions politiques qui permettent que de tels choix soient possibles. La reconstruction de la cité de Dieu passe d’abord par la préservation de ses combattants, puis par l’affaiblissement de la cité de l’homme-dieu, donc par le refus des règles du jeu démocratique. Tel est bien le sens de cette déclaration du pape Pie IX (1792-1878) à des pèlerins français en 1874 :

Je bénis tous ceux qui coopèrent à la résurrection de la France ; Je les bénis dans le but (laissez-moi vous le dire), de les voir s’occuper d’une œuvre bien difficile, mais bien nécessaire, celle qui consiste à faire disparaître, ou à diminuer, une plaie horrible qui afflige la société contemporaine, et qu’on appelle le suffrage universel.
Remettre la décision des questions les plus graves aux foules nécessairement inintelligentes et passionnées, n’est-ce pas se livrer au hasard, et courir volontairement à l’abîme ?
Oui, le suffrage universel mériterait plutôt le nom de folie universelle, et quand les sociétés secrètes s’en emparent, comme il arrive trop souvent, celui de mensonge universel30.

Le devoir civique du chrétien n’est donc pas de voter, mais de travailler de toutes ses forces à promouvoir une institution politique qui respecte la loi naturelle. Cette attitude est d’ailleurs aussi celle préconisée par le roi Henri V — comte de Chambord (1820-1883) :

Il est des positions où il faut se résigner à subir quelques inconvénients pour en éviter de plus grands encore, et savoir sacrifier ce qui peut paraître l’utilité du moment à l’utilité permanente et véritable. […] Ayons foi en nos doctrines, en nos traditions. Le sentiment moral est notre condition d’existence et notre force, ne l’abdiquons pas. C’est ce qui fait notre valeur aux yeux du pays, et c’est ce qui ramènera le pays vers nous, lorsqu’il sera rendu à la liberté et à lui-même.
Telle que je la comprends l’abstention n’est pas un défaut d’affirmation ; elle est au contraire une affirmation et une protestation éclatante. C’est s’affirmer, c’est protester que de dire au pouvoir :
– les royalistes ne veulent pas se prêter à vos mensonges ;
– ils ne veulent pas avoir l’air de prendre au sérieux vos prétendues institutions ;
– ils ne veulent pas, en acceptant une lutte trop inégale, ajouter l’apparence d’une opposition vaincue à votre facile triomphe. […]
Croyez-le bien : lorsque le moment sera venu, l’abstention d’aujourd’hui deviendra pour les royalistes un titre et une recommandation de plus devant leurs concitoyens. […]
Croyez qu’il m’en coûte de détourner pour un temps les royalistes des fonctions électives et de la vie publique. […]
Mais, j’en suis convaincu, la protestation incessante par l’abstention publique, telle est la vraie mission des royalistes, sous un régime monstrueux qui semble contrarier à plaisir les instincts et les besoins de la France, qui remplace le sentiment moral par le cynisme, la liberté par l’intimidation électorale, les réalités fécondes du gouvernement représentatif par les misérables simulacres d’un constitutionnalisme mensonger31.

Cessons de voter et le courant de conversion des esprits à la Révolution se tarira, la Révolution tombera en panne et sera vaincue.

Le combat pour la cité de Dieu en France

Les fondements naturels et divins de la France traditionnelle

En France, une institution politique ayant pour idéal la cité de Dieu a déjà existé : c’est la monarchie traditionnelle. Elle est dépositaire de l’unique doctrine politique naturelle antérieure aux idéologies de 1789. La constitution de l’ancienne France était fondée sur deux principes :
1) Une légitimité fondée sur le droit naturel.
– Pour assurer le bien commun, pour donner le bonheur aux hommes, l’autorité politique reconnaît et se soumet elle-même à une loi dont elle n’est point l’auteur : la loi naturelle ou loi de la nature humaine.
– Le bien commun qui requiert l’unité de la paix n’est idéalement réalisé qu’avec le gouvernement d’un seul. Saint Thomas d’Aquin dit :

Il est clair que ce qui est un par soi peut mieux réaliser l’unité que ce qui est composé d’unités32.

Aussi l’autorité politique est celle d’un roi. Le fait que le roi n’est pas désigné par les hommes mais par les Lois Fondamentales du Royaume — auxquelles et le peuple, et le roi doivent se soumettre — évite les querelles de succession, préserve l’unité, et donc le bien commun.
2) Une légitimité fondée sur le droit divin et la Révélation. Si le successeur désigné par Loi est l’unique roi, celui-ci n’acquiert une pleine autorité qu’avec le sacre. En effet :
– Lors du sacre, devant ses peuples, le roi se soumet à Dieu, et lui fait serment de légiférer selon la loi naturelle dont Dieu est l’Auteur (c’est ce que nous appelons le droit divin).
– Lors du sacre, le roi reconnaît la Révélation et l’institution qui en garde le dépôt (l’Église) ; il reconnaît plus précisément la suzeraineté de Jésus-Christ, Roi de France.
– Le sacre confère dès lors au roi les grâces nécessaires pour gouverner en conformité avec les lois de Dieu et de l’Église.
Ce combat ne s’impose-t-il donc pas ? N’est-il pas raisonnable ? N’en vaut-il pas la peine ? Lui préférerions-nous l’illusion d’un « bon gouvernement » inventé de toute pièce sans la tradition ? Mais à quelle civilisation chrétienne concrète saint Pie X (1835-1914) fait-il référence dans sa Lettre sur le Sillon — cette lettre qui condamne le mouvement démocrate-chrétien de Marc Sangnier ?

Non, Vénérables Frères — il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d’anarchie sociale et intellectuelle, où chacun se pose en docteur et en législateur —, on ne bâtira pas la société autrement que Dieu l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : « omnia instaurare in Christo ».
Eh quoi ! on inspire à votre jeunesse catholique la défiance envers l’Église, leur mère ; on leur apprend […] que les grands évêques et les grands monarques, qui ont créé et si glorieusement gouverné la France, n’ont pas su donner à leur peuple ni la vraie justice, ni le vrai bonheur, parce qu’ils n’avaient pas l’idéal du Sillon !33.

Quelle cité catholique non bâtie « dans les nuées » le saint pape évoque-t-il quand il s’adresse à notre pays, si ce n’est celle de notre monarchie traditionnelle ?


À CONSULTER également sur le même sujet :
Principe du moteur de la Révolution
Voter : du moindre mal au vote utile
Leçon de démocratie

  1. Sun Tzu, L’Art de la Guerre, traduit et présenté par Jean Lévi, Paris, Hachette, 2000, p. 61.
  2. Saint Augustin, La Cité de Dieu, livre IV, chap. IV, éd. P. de Labriolle, Paris, 1957, p. 332.
  3. Jean-François Lemarignier, La France médiévale, éd. A. Colin, Paris, 2002, p. 37.
  4. Jean-Luc Chabot, Le Nationalisme, PUF, col. Que sais-je ?, Paris, 1986, p. 14.
  5. Jean-Luc Chabot, Le nationalisme, op. cit., p. 15.
  6. Luc Ferry, L’Homme-Dieu ou le sens de la vie, Grasset, 1996, p. 226.
  7. « L’homme est naturellement un animal politique, destiné à vivre en société. » (Aristote, La Politique, livre i, chap. i, par. 9, trad. Thurot, Garnier Frères, Paris, non daté, p. 5.)
  8. Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIœ , « La loi », Question 94, Article III, traduction française par M.-J. Laversin O.P., Éditions de la revue des jeunes, Société Saint Jean l’Évangéliste, Desclée et Cie, Paris Tournai Rome, 1935, p. 115.
  9. Jean, XIX, 10-11.
  10. Épître aux Romains, XIII, 2.
  11. Jean, I, 1.
  12. Ludwig Feuerbach, Essence du Christianisme, Librairie Internationale, Paris, 1864, p. 27.
  13. Mgr Gaume, La Révolution, Recherches historiques, tome I, chap. I, Librairie de Gaume frères et Duprey, Paris, 1856, p. 16-17.
  14. Jules Ferry cité par Jean Jaurès, Préface aux Discours parlementaires, Le socialisme et le radicalisme en 1885, Présentation de Madeleine Rebérioux, « Ressources », réédition Slatkine, 1980, p. 28-29.
  15. Gœthe, Faust, partie I, scène V.
  16. Jules Ferry, Discours sur l’égalité d’éducation, Discours et opinions de Jules Ferry, tome i, Armand Colin, Paris, 1893, p. 284.
  17. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome iv, Meline Cans et Cie, Bruxelles, 1840, p. 152.
  18. Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome IV, op. cit., p. 157.
  19. Herbert Marcuse, La fin de l’utopie, Seuil, paris, 1968, p. 33.
  20. Platon, Théétète, 152a.
  21. Genèse, III, 5, Bible de Jérusalem, Cerf/Verbum Bible, 1988.
  22. Oswald Wirth, La Franc-Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, tome II (Le compagnon), Dervy-Livres, Paris, p. 92.
  23. Remarquons bien que le vote n’est pas condamnable en lui-même : il est parfaitement légitime de voter lors d’élections professionnelles, de municipales dans une petite ville, etc. Nous le répétons : ce qui est visé ici, c’est le vote pour quelque chose qui ne relève pas de notre compétence.
  24. Article « Entretien avec JMLP », Aspects de la France, jeudi 10 octobre 1991.
  25. Augustin Cochin, Les sociétés de pensée et la démocratie moderne (publication posthume), La mystique de la libre-pensée, « Le catholicisme de Rousseau », chap. II, Plon-Nourrit, Paris, 1921.
  26. Cardinal Pie, Œuvres de Monseigneur l’Évêque de Poitiers, tome IX, H. Houdin & Cie, Paris, 1884, p. 227.
  27. Matthieu, V, 9.
  28. Jean, XIII, 14.
  29. L’avortement est contre-nature, que le peuple soit pour ou contre.
  30. R.P. Limbour, Vie populaire de Pie IX, chap. XIII : Paroles de Pie IX sur les erreurs modernes, Société Saint-Augustin, Paris, 1904, p. 114-115.
  31. Henri V, cité par Daniel de Montplaisir, Le comte de Chambord, dernier roi de France, Perrin, 2008, p. 281-282.
    D’après les archives de Lucques déposées en 1962 par la famille de Béatrice de Bourbon, princesse Massimo (1874-1961), fille de Charles de Bourbon, duc de Madrid (1848-1909) et héritière du château de Frohsdorf en 1931. Elles comportent 28 cartons composés chacun d’une vingtaine de liasses :
    – lettres, adresses, mémoires et études de royalistes 1847-1883 ;
    – comptes rendus de réunions de royalistes en France 1832-1884 ;
    – manuscrits du comte de Chambord : notes de réflexions, commentaires d’études, manifestes et brouillons de manifestes, instructions au duc de Lévis et aux gentilshommes de service, journaux de voyage, journal personnel et politique 1852-1881 ;
    – copies de lettres du comte de Chambord ;
    – correspondance et notes de la comtesse de Chambord ;
    – papiers du dernier duc de Modène.
  32. Saint Thomas d’Aquin, De regno, chap. II, col. Les maîtres de la politique chrétienne, Éditions de la Gazette Française, Paris, 1926, p. 16.
  33. Saint Pie X, Lettre sur le Sillon, Notre charge apostolique, du 25 août 1910.
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