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De la nécessité d’une bonne institution

leçons tirées de la genèse de la monarchie française

vendredi 26 décembre 2008, par Faoudel

Pour beaucoup, le bon gouvernement dépend principalement des bonnes dispositions de son chef, aussi recherchent-ils le « saint roi », le « saint président »… Plus rares sont ceux qui se posent la question cruciale de la forme de l’institution politique. En effet le philosophe Léo Strauss rappelle que « la question principale de la philosophie politique classique est la question du meilleur régime […] Aristote dit que le bon citoyen pur et simple n’existe pas. Car ce que signifie être un bon citoyen dépend entièrement du régime considéré. Un bon citoyen dans l’Allemagne hitlérienne serait partout ailleurs un mauvais citoyen. Mais tandis que le bon citoyen est relatif au régime, l’homme bon n’a pas cette relativité. La signification d’homme bon est partout et toujours la même. L’homme bon ne se confond avec le bon citoyen que dans un seul cas — dans le cas du meilleur régime. Car c’est seulement dans le meilleur régime que le bien du régime et le bien de l’homme bon sont un seul et même bien, le but de ce régime étant la vertu* ». Dans ces circonstances, la République est-elle baptisable ? Existe-t-il une forme de gouvernement naturelle et compatible avec le message évangélique ? Sommes-nous condamnés à toujours nous accommoder du « moindre mal » et à nous complaire dans un agnosticisme politique propre à justifier toutes les désertions et les compromissions ?

* Léo Strauss, Qu’est-ce que la philosophie politique ? , Première édition 1959, PUF, Collection Quadrige, Paris, 2010, p. 39.

Notre problématique

Souvent pour nos contemporains, le meilleur gouvernement est celui qui prône l’idéologie dont ils se sentent le plus proche, que ce soit dans le cadre de la cinquième République ou d’une autre. La « bonne » idéologie suffirait à elle seule à rendre le gouvernement bon.

Dans le même ordre d’idée et, bien sûr sans assimiler la religion à une idéologie, on constate que beaucoup de catholiques affectent de croire que la forme de gouvernement importe peu pourvu que celui ci reconnaisse le Christ Roi et soutienne son Église.

Ces conditions sont en effet requises pour faire une cité chrétienne conformément à l’enseignement du Christ quand il affirme tenir Sa royauté du Père. Nous dirons donc d’un tel gouvernement qu’il est légitime théologiquement. Remarquons par ailleurs que, même sans même se référer à la Révélation et en se cantonnant à la théologie naturelle (connaissance de Dieu par les seules lumières de la raison), il est en soi juste que la société rende un culte au Créateur et c’est précisément ce que l’on nomme « droit divin » ou hétéronomie.

Mais la légitimité théologique révélée permet-elle à elle seule d’assurer le bon gouvernement ?

Recherche d’un critère pour définir une bonne institution d’un point de vue naturel

Définition : institution politique = les institutions = lois fondamentales d’un pays.

Ainsi quand on parle des institutions d’un pays, on parle du cadre juridique qui donne sa forme au gouvernement.
Le rôle des institutions est de préserver le bien commun que saint Augustin identifie à la tranquillité de l’ordre et saint Thomas à l’unité de la paix, à la concorde qui existe quand on rend à chacun ce qui lui est dû.
Il revient donc aux institutions de soustraire le bien commun aux aléas des passions des hommes, de garantir sa continuité par delà leurs fragilités, leurs limites, et en particulier, d’assurer sa pérennité quand le détenteur de l’autorité politique meurt.

Mais l’histoire révèle une multitude d’institutions politiques qui sont autant de façons de gouverner les peuples. On peut alors se demander s’il existe une échelle qui permettrait d’évaluer le degré de bonté de telle ou telle institution.

Pour déterminer la meilleure forme de gouvernement saint Thomas définit le critère suivant :

L’intention de tout gouvernant doit tendre à procurer le salut de ce qu’il a entrepris de gouverner. Il appartient au pilote, en protégeant son navire des périls de la mer, de le conduire indemne à bon port. Or le bien et le salut d’une multitude assemblée en société est dans le maintien de son unité, qu’on appelle paix. Qu’elle disparaisse et l’utilité de la vie sociale est abolie, bien plus une multitude en dissension devient insupportable à elle-même. Voici donc à quoi doit tendre le plus possible celui qui dirige la multitude : à procurer l’unité de la paix… C’est pourquoi l’Apôtre, ayant recommandé l’unité au peuple fidèle, dit : « Efforcez-vous de conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix » (Ep 4,3). Un gouvernement sera donc d’autant plus utile qu’il sera plus efficace pour conserver l’unité de la paix. Car nous appelons plus utile ce qui conduit mieux à la fin [1].

Ainsi l’institution politique — qui donne sa forme au gouvernement — est d’autant plus utile, nous dirons aujourd’hui « légitime » du point de vue naturel, qu’elle réalise cette condition du bien commun qui est l’unité de la paix.

Aussi, dans notre quête d’un bon régime, nous essaierons de jauger les institutions politiques du passé de notre pays à l’aune de ces deux critères :

  • légitimité théologique, dans le sens d’une conformité à la Révélation.
  • légitimité naturelle, même si nous n’ignorons pas — répétons-le — l’existence d’une théologie naturelle, d’un droit divin reconnaissable par tous les hommes ainsi que nous le rappelle un Sophocle dans son Antigone, bien avant Jésus-Christ.
    En cela nous aurons une pensée réaliste car inductive, partant des faits à la différence de la démarche déductive des révolutionnaires qui produisent des constitutions à partir d’idéologies sans aucun lien avec le réel, à l’instar de Rousseau qui invente une constitution pour la Pologne alors qu’il n’y a jamais mis les pieds, ou qui ne craint pas de déclarer :
    Commençons donc par écarter tous les faits, car ils ne touchent point à la question [2].

L’empire romain

Dans l’Antiquité le gouvernement monarchique est de loin le plus répandu, ne dérive-t-il pas directement du modèle patriarcal ?
Probablement les peuples le sentent-ils le plus apte à leur garantir leur survie.
Et saint Thomas d’expliquer le rôle bénéfique de la monarchie pour le bien commun :

Il est manifeste que ce qui est un par soi peut mieux réaliser l’unité que ce qui est multiple. … Donc le gouvernement d’un seul est plus utile que celui de plusieurs [3].

C’est dans un monde gouverné par un empereur que le christianisme se développe malgré ou grâce aux persécutions.

  • En 313 l’empereur Constantin accorde la liberté de culte aux chrétiens par l’édit de Milan.
  • En 380 l’empereur Théodose déclare le christianisme religion d’État.
  • En 392 il interdit les cultes païens et hérétiques.
  • Les conciles de Nicée (325), de Constantinople (381 ap. JC), d’Éphèse (431 ap. JC) et de Chalcédoine (451 ap. JC) sont convoqués par l’empereur. Quelquefois celui ci s’immisce dans le concile et même le préside.
  • En 476 c’est un empire chrétien qui disparaît quand l’empereur Romulus Augustule est déposé par le chef barbare Odoacre.

SCANDALE POUR LES CHRÉTIENS ! ! saint Jérôme (420 ap. JC) et saint Augustin (430 ap. JC) se lamentent : Comment Dieu a-t-Il permis que la Cité Romaine dont les institutions étaient pourtant chrétiennes (donc légitimes théologiquement) s’effondre de la sorte ?

Or que découvre-t-on à l’étude de la chronologie des empereurs ? Une grande instabilité politique.
En passant sous silence les nombreux empereurs douteux et en ne considérant que ceux qui règnent sur la partie occidentale de l’empire :

  • D’Auguste Octave (27 av. JC) à Romulus Augustule (476 ap. JC), on compte environ 73 empereurs romains. La durée moyenne d’un règne se situe donc aux alentours de 7 ans.
  • Sur ces 73 empereurs, 37 (soit 50%) ont été assassinés, exécutés ou contraints au suicide. Autrement dit, on dénombre au moins 37 instabilités graves de l’autorité politique en 500 ans.
  • En ce qui concerne la seule période de l’empire romain chrétien d’occident (soit 84 ans) au moins 12 empereurs sans compter les usurpateurs et les aventuriers.

En principe l’hérédité est de mise ; dans les faits la loi du plus fort désigne souvent le monarque avec toutes les intrigues et les divisions consécutives.
Même de bonne volonté, l’empereur est trop préoccupé de se maintenir en place pour assurer une politique suivie.

Or Aristote a bien montré (dans l’Éthique à Nicomaque) que le rôle de l’autorité politique consiste à rendre les citoyens vertueux pour les responsabiliser pour les faire participer au mieux au bien commun. Et saint Thomas de confirmer :

L’office de celui qui gouverne sera non seulement de conserver intacte la chose en elle-même, mais en plus la conduire à sa fin… Or la fin ultime d’une multitude rassemblée en société est de vivre selon la vertu. En effet les hommes s’assemblent pour mener ensemble une vie bonne, ce à quoi chacun vivant isolément ne pourrait parvenir [4].

Cet exercice exige une stabilité, une persévérance que les institutions ne permettent pas à l’empereur.
Dès lors, pas étonnant que bien que chrétien, le Bas Empire soit aussi une période de décadence :

  • Désintérêt pour la chose publique (Rome et Constantinople sont des cités parasites dont les habitants sont oisifs, exempts d’impôts et entretenus par l’État).
  • Désertion dans la défense de la Cité (les armées romaines sont essentiellement composées de barbares).
  • Concubinage généralisé.
  • Dénatalité (55 à 60 millions d’âmes au début du IIe siècle, 35 millions au début du IVe siècle).

La Grâce ne va pas contre la nature, elle s’y ajoute, l’accomplit.
Le caractère chrétien des institutions romaines n’a pas suffit à les sauver de leurs insuffisances naturelles.

La royauté mérovingienne (496-751)

À la chute de l’empire romain d’occident une institution survit : l’Église.

En vertu de la distinction des deux pouvoirs temporel et spirituel, les autorités religieuses — à l’instar de saint Rémi — cherchent à instaurer une nouvelle autorité politique.
Leur choix se porte sur Clovis, barbare franc qui en acceptant le baptême (Noël 496) reconnaît une royauté supérieure à la sienne : celle du Christ.
Cet acte lui octroie une légitimité théologique reconnue par de nombreux peuples. L’unité se refait, un nouvel espoir de cité chrétienne naît.
Hélas ! Clovis a une conception de l’autorité qui est celle d’un barbare :

  • Sa légitimité naturelle se fonde sur sa force et son charisme, (qualités bien aléatoires dans sa descendance).
  • Le pays constitue un bien personnel du monarque et avant de mourir, il partage son royaume entre ses quatre fils.

Nous sommes donc en présence d’une institution politique extrêmement rudimentaire bien éloignée du souci du bien commun.
Toute l’histoire des mérovingiens (soit 255 ans) est émaillée de partages, de réunifications (6 réunifications totales) avec force assassinats, luttes fratricides engendrant des guerres civiles.
Ces instabilités institutionnelles provoquent :

  • Affaiblissement de l’autorité politique. Disparition progressive des reliquats de l’administration romaine.
  • Anarchie dans la hiérarchie religieuse ; diocèses sans évêque ; diocèses avec deux évêques ennemis ; absence de concile ; inculture et débauche du clergé séculier (la propagation de la foi est assurée par le monachisme qui connaît en ce temps une grande expansion).
  • Disparition de l’écriture (les ordres et les lois cessent d’être formulés par écrit).
  • Violence et anarchie des comportements.

Bien que légitime du point de vue théologique, mais à cause d’une légitimité naturelle très imparfaite, la monarchie mérovingienne s’achève sur fond de déliquescence politique (les rois fainéants), de profondes divisions raciales, d’invasion musulmane.

La royauté carolingienne (751-987)

Un redressement va s’opérer grâce aux efforts conjugués d’un moine (saint Boniface), d’un pape et d’une famille soucieuse du bien commun, celle des maires du palais d’Austrasie.
Tous ces acteurs ont à cœur de réaliser un projet grandiose élaboré dans les monastères : l’unité de l’Occident dans le christianisme par une union étroite du pape et du roi.
Avec les Carolingiens, la légitimité théologique trouve un plein épanouissement :

  • Les descendants de Pépin le Bref sont imprégnés des paroles de saint Isidore de Séville :
    Que les princes des siècles sachent que Dieu leur demandera des comptes au sujet de l’Église, confiée par Dieu à leur protection. La paix et la discipline ecclésiastique doivent se consolider par l’action des princes fidèles [5].
  • Par la cérémonie du sacre il reconnaît que sa royauté vient de Dieu et qu’il Lui doit des comptes sur le salut du peuple qui lui a été confié. Sa personne devient sacrée.
  • Le roi est le protecteur actif de l’Église, il chasse l’hérésie, au besoin il convoque et préside même un concile.

Dans l’ordre de la légitimité naturelle, les Carolingiens font leur le principe résumé par l’évêque saint Jonas d’Orléans dans son traité sur l’Institution royale (De institutione regia) :

La fonction royale est de gouverner et régir le peuple de Dieu avec équité et justice, pour qu’il puisse conserver la paix et la concorde [6].

De fait, la dynastie commence avec une série de rois très pieux, énergiques, organisateurs, tournés vers le bien commun. L’unité de l’Occident et son redressement sont réalisés par le génial Charlemagne à la faveur d’un long règne (46 ans).
On a parlé à juste titre de renaissance carolingienne :

  • Administration centralisée et efficace : le royaume est divisé en provinces à la tête desquelles le roi désigne un comte qui est son représentant.
  • Renouveau intellectuel et religieux. On redécouvre le latin et le grec, on débarrasse les écritures saintes des ajouts et des fautes de traduction des copistes.
  • De nombreuses écoles sont ouvertes auprès des évêchés et des monastères destinées à fournir un clergé compétent et des administrateurs convenablement instruits.
  • Les ordres sont à nouveau formulés par écrit.
  • Essor de la littérature, des sciences, des arts décoratifs, de l’architecture, de l’industrie textile.

Malheureusement les institutions politiques conservent une tare héritée des Mérovingiens : à la mort du roi, le royaume est divisé entre ses fils.
Et si au début les circonstances et les bonnes volontés permettent de surmonter ce danger, il n’en va plus de même à partir des petits-fils de Charlemagne qui se déchirent.
Ces luttes pour le pouvoir sont lourdes de conséquences :

  • L’empire est divisé en trois, puis cinq royaumes indépendants.
  • L’autorité royale s’affaiblit alors que celle des comtes sur leur province respective augmente. Certains se révoltent ouvertement contre le roi.
  • À partir de 841 et profitant de ces désordres, les Normands dévastent de nombreuses villes.
  • En 877 Charles le Chauve fait une redoutable concession : avant son expédition pour secourir le pape menacé par les musulmans, il accepte un gouvernement intérimaire par conseil des grands (comtes et évêques). Le roi meurt sur le chemin du retour.
  • Pour lui succéder son fils Louis le Bègue est obligé de négocier avec les grands : ceux ci acceptent de l’élire à condition qu’il rende héréditaire la charge comtale : c’est une révolution.
  • En 888 les grands élisent roi un des leurs, Eudes un ancêtre des Capétiens.
  • Un deuxième roi est élu avant la fin du règne d’Eudes.

L’échec des institutions carolingiennes est consommé : les grands élisent et déposent les rois selon leurs intérêts. Même s’ils lui prêtent serment de fidélité, ce sont eux qui exercent le gouvernement politique sur de véritables principautés territoriales.
Une fois de plus et malgré une légitimité théologique certaine, une institution politique est impuissante à juguler les forces de dissociation parce que inachevée du point de vue de la légitimité naturelle.

Le bouleversement capétien (987-1789)

En 987 Hugues Capet est élu roi par les grands puis sacré, sous la pression du puissant archevêque de Reims : Adalbéron.
Lors de l’élection, ce dernier impose le point de vue selon lequel pour épargner au pays les divisions entre héritiers, la monarchie ne doit plus être héréditaire mais élective : on élira le meilleur. Très habilement, de son vivant, Hugues Capet fait élire puis sacrer son fils aîné. Ses successeurs feront de même et le sacre anticipé ne disparaîtra qu’à la fin du XIIe siècle. Le royaume n’est plus partagé entre les enfants : seul l’aîné succède, ce qui assure stabilité et continuité ; la légitimité naturelle du pouvoir réalise un grand pas.

Cet événement capital passe pourtant complètement inaperçu à ses contemporains. En effet, l’institution s’est stabilisée mais le roi ne dispose plus d’aucun pouvoir :

  • Les comtes sont, pour la plupart, plus puissants que le roi ; ils ne se déplacent même plus pour lui prêter l’hommage féodal.
  • Le comte, devenu chef politique, dote sa province de châteaux qu’il confie à des vassaux.
  • Très souvent ceux-ci s’affranchissent à leur tour de la tutelle du comte. Cette atomisation de l’autorité politique qui se poursuit dans de nombreux comtés jusqu’au XIIe siècle est source de conflits permanents.
  • Pour lutter contre une insécurité grandissante due à une absence d’autorité politique efficace, les clercs proclament « la paix de Dieu » au concile de Charroux en 989 : interdiction de faire la guerre aux non combattants.
  • Le domaine royal couvre en gros l’Ile de France. Mais il est morcelé et disjoint par des châtellenies indépendantes et quelquefois hostiles comme celle du seigneur de Montlhéry dont les Capétiens ne viendront à bout qu’au … XIIe siècle ! ! !

En l’espace de deux ou trois générations, la certitude s’établit que l’autorité du comte ou du châtelain, ne lui vient pas du roi par délégation mais de la coutume.
Le début de la féodalité est une période d’anarchie durant laquelle on peut être vassal de plusieurs suzerains. Comment dès lors reconnaître la hiérarchie ? Quand on ne sait plus à qui obéir, on n’obéit plus à personne, le dévouement vassalique disparaît.

Il faut attendre les années 1110 avec le règne de l’énergique Louis VI le Gros pour retrouver un ordre hiérarchique au sommet duquel on trouve le roi.
Ce renouveau fait écho à la réforme grégorienne de l’Église (du pape St Grégoire VII).
Un des éléments de cette réforme consiste à établir une hiérarchie, non par les hommes mais par la terre. Si un homme peut être plusieurs fois vassal de seigneurs différents, en revanche la terre n’est « vassale » que d’une autre. Un fief « meut » donc d’un autre fief et ainsi de suite jusqu’au royaume, jusqu’au roi.
Louis VI aidé de Suger, abbé de Saint Denis et de nombreux clercs du royaume parvient peu à peu à imposer cette idée.

La renaissance de l’autorité politique royale permet l’avènement en France de l’âge d’or de la chrétienté médiévale :

  • Redécouverte des philosophes antiques, de la logique aristotélicienne, du droit romain.
  • Construction d’écoles, qui préfigurent les futures universités.
  • Renouveau littéraire : naissance du roman courtois ; roman de la Table Ronde.
  • Renouveau architectural : naissance de l’art gothique appelé à l’époque l’art français.
  • Échanges commerciaux et intellectuels intenses.
  • Pendant près de 300 ans le roi a toujours au moins un fils, c’est ce que l’on a appelé « le miracle capétien », jamais une fille ne succède.

En 1316 Louis X, fils de Philippe Le Bel, meurt en laissant une fille et une reine enceinte. Faute de garçon la jeune fille va-t-elle succéder ?
Avec le consentement général Philippe le Long, frère de Louis X, assure la régence. La reine met au monde un fils, Jean Ier qui ne vit que quelques jours. Jusqu’ici, seuls des garçons ont régné. Le quasi sacerdoce que confère la cérémonie religieuse du sacre, ainsi que l’atout que constitue un mâle en age de porter les armes militent en faveur de l’oncle.
Philippe succède donc sous le nom de Philippe V ; la loi de collatéralité est entérinée et conforte la loi de primogéniture mâle.

C’est ainsi qu’au fil des siècles l’institution politique s’enrichit de nouvelles lois de façon quasi empirique : une difficulté survient ? La solution adoptée ne contredit jamais les lois déjà existantes et devient définitivement la règle.
Ces lois sont appelées les Lois Fondamentales du Royaume de France.

Peu à peu s’affirment les principes selon lesquels :

  • La couronne n’est pas la propriété du roi : si personne ne peut la lui prendre, il ne peut la léguer à qui il veut.
  • Le successeur est désigné par la loi : la désignation de l’autorité politique s’affranchit de tout choix humain (y compris et surtout de celui du roi) : cela épargne au pays bien des déchaînements de passions pour la conquête du pouvoir.
  • Le pays n’est pas la propriété du roi, celui ci exerce une charge, remplit un office.

Les institutions de la monarchie capétienne réalisent le mieux le bien commun par l’ordre, la stabilité et la continuité qu’elles procurent. Elles sont donc les plus légitimes naturellement.
Les capétiens ne comptent peut-être pas dans leurs rangs des personnages de l’envergure d’un Charlemagne, mais la stabilité de l’institution leur permet, génération après génération, de reconstruire solidement ce que les temps féodaux ont morcelé.
En outre cette légitimité naturelle permet à la légitimité théologique d’apporter ses plus beaux fruits : développement de l’Église, des institutions civiles chrétiennes (chevalerie, confréries bourgeoises caritatives…), de l’esprit missionnaire.
L’histoire montre que le titre de fils aîné de l’Église donné au roi de France n’est pas usurpé.

Il convient de rappeler encore que cette institution politique a reçu à maintes reprises l’approbation de la Providence (mission de sainte Jeanne d’Arc, apparitions du Sacré Cœur à sainte Marguerite Marie, apparitions du Christ Roi à sainte Catherine Labouré…).

Quelques chiffres : De Hugues Capet à Louis XVI on compte 33 rois en 803 ans ; 24 ans de règne par roi en moyenne (soit l’espace qui sépare deux générations).
Aucune rupture, aucune entorse à l’institution n’est à déplorer.

La Révolution contre les institutions

Les États révolutionnaires font leur la devise rousseauiste Liberté, Égalité, Fraternité.
Pour eux obéissance s’oppose à liberté ; hiérarchie s’oppose à égalité.
La légitimité ne provient ni de Dieu ni de la réalisation du bien commun mais du choix du peuple par la loi du nombre.
Or les institutions dans un sens général imposent à l’homme l’obéissance à une hiérarchie qu’il ne choisit pas (dans la famille on ne choisit son père qui détient l’autorité).
Donc la Révolution combat les institutions pour « libérer » les hommes de leur joug :

  • Destruction de l’institution Église : le prêtre ne tient pas son autorité d’un vote de ses ouailles.
  • Destruction du mariage et de la famille de l’autorité paternelle …
  • Destruction des corporations.
  • Destruction des provinces.
  • Destruction de l’institution monarchique française.

Cette institution politique en particulier est insupportable à un esprit révolutionnaire, en effet : nous venons d’établir historiquement que son haut degré de légitimité naturelle réside précisément en ce que la désignation de l’autorité politique est soustraite au choix humain.
L’institution de l’Ancienne France s’est élaborée au fil des siècles au gré des nécessités grâce à la pensée inductive.
La Révolution lui substitue des embryons d’institutions créés de toute pièce par une pensée déductive avec comme point de départ des idéologies déconnectées de la réalité.

Dans ce cas peut on encore parler d’institution pour désigner les démocraties révolutionnaires ?
À l’instar de Tocqueville, nombre de sociologues estiment en effet que la démocratie moderne est plus un état d’esprit qu’une institution.
Le terme institutions est quand même incontournable en ce sens qu’aucune société ne saurait exister sans gouvernement [7].

Cependant les institutions démocratiques sont dénaturées car leur finalité n’est plus le bien commun mais la libéralisation des individus, leur affranchissement de toute contrainte sociale et morale.
En outre Tocqueville souligne la passion de l’égalité qui dévore inexorablement les hommes vivant en démocratie. Rien n’est plus opposé à l’idée d’institution qui ambitionne au contraire le triomphe de la raison et de la loi sur la passion, celui de la hiérarchie bienfaisante et constructrice sur l’individualisme de citoyens égaux.

Les tentatives de rétablissement d’institutions politiques chrétiennes.

Des régimes comme ceux de Garcia Moreno en Équateur, de Franco en Espagne et de Salazar au Portugal sont autant de tentatives de restauration de véritables institutions :

  • Les partis sont interdits car facteurs de divisions.
  • Les institutions civiles traditionnelles sont encouragées (politiques familiales, restaurations de corps de métier…)
  • Les institutions politiques sont chrétiennes.

Mais ces édifices s’écroulent à la mort de l’homme fort, la pérennité du bien commun n’est pas assurée, pire : le pays retourne immanquablement à la Révolution.
Sur le plan de la légitimité naturelle, ces institutions sont donc très imparfaites, au moins aussi fragiles que celles du Bas Empire romain ou que celles de la monarchie carolingienne.

Conclusion

En guise de conclusion nous ferons trois constats :

  • Il est impossible d’envisager une politique chrétienne durable dans le cadre démocratique, cela n’a jamais existé dans l’histoire. Continuer d’affirmer que c’est pourtant théoriquement possible relève de l’utopie car contraire aux faits.
  • La dictature chrétienne possède du point de vue naturel une légitimité très faible car son instabilité ne garantit pas la pérennité du bien commun, elle ne saurait donc constituer un idéal politique.
  • La mise en place d’une institution politique ne s’improvise pas : nos pères ont chèrement payé par plus de 500 ans de tâtonnements et d’errances l’élaboration de cette magnifique institution qu’est la monarchie capétienne.

Prétendre repartir de zéro et créer de toute pièce un « régime catholique » armé de la seule légitimité théologique serait irresponsable et orgueilleux. Ce serait surtout se moquer de la Providence en méprisant une institution dont on ne peut nier qu’Elle l’a suscitée et soutenue. À travers l’épopée de la Pucelle, Dieu a clairement montré aux Français où étaient leur devoir et le bien à atteindre : Il a placé sur le Trône le successeur désigné par les Lois Fondamentales du Royaume, Charles VII, un personnage pourtant bien médiocre. Leur a-t-il donné un contre-ordre depuis ? Non ! Au contraire : dans sa lettre encyclique sur le Sillon le grand pape saint Pie X leur rappelle en 1910 :

Non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées […]

Eh quoi ! on inspire à votre jeunesse catholique la défiance envers l’Église, leur mère ; on leur apprend […] que les grands évêques et les grands monarques, qui ont créé et si glorieusement gouverné la France, n’ont pas su donner à leur peuple ni la vraie justice, ni le vrai bonheur, parce qu’ils n’avaient pas l’idéal du Sillon !

Trop de mouvements catholiques — comme La Cité Catholique et maintenant Civitas — proposent une formation portant sur des principes de politique chrétienne mais refusent toute réflexion sur les institutions à mettre en place pour les appliquer, ceci PAR PEUR DES DIVISIONS.
C’est prendre les choses à l’envers : Si la finalité reste aussi floue que des principes généraux, chacun a une idée toute personnelle pour y parvenir, comment envisager une action cohérente quand le moment favorable arrivera ?
C’est l’unité de doctrine politique, l’union autour de la finalité concrète à atteindre, autrement dit l’union autour des institutions politiques à mettre en place qui donnera sa force au mouvement, qui permettra, avec la Grâce de Dieu, une action efficace.

Les sociologues nous disent qu’une institution n’est acceptée par le peuple que si celui ci est convaincu de son effet bénéfique.
Pour juguler le libéralisme et l’égalitarisme, ces passions qui dévorent nos contemporains, opposons :

  • La raison : éclairons les intelligences sur la nécessité et la beauté de l’institution politique traditionnelle française.
  • L’amour de Dieu, l’amour de l’ordre qu’Il a voulu, l’amour des institutions, l’amour de l’autorité, l’amour du roi.

Nous l’avons compris : il est impossible de faire l’économie d’une réflexion sur les institutions.


[1Saint Thomas d’Aquin, De Regno, Livre I, ch.II.

[2Jean-Jacques Rousseau, De l’inégalité parmi les hommes, « Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes », Librairie de la Bibliothèque Nationale, L. Berthier Éditeur, 1894, p. 32.

[3Saint Thomas d’Aquin, De Regno, Livre I ch.II.

[4Saint Thomas d’Aquin, De Regno, Livre II, ch. III.

[5Isidore de Séville cité par Jean-François Lemarignier in La France médiévale, Armand Colin, collection U, Paris, 2002, p.65

[6Jonas d’Orléans cité par Jean-François Lemarignier in La France médiévale, Armand Colin, collection U, Paris, 2002, p.66.

[7Cette réalité engendre d’ailleurs une véritable schizophrénie chez les démocrates : d’une part ils dénoncent la « tyrannie » de la société et des institutions qui s’opposent à la liberté et à l’égalité, d’autre part ils ne peuvent s’en passer car elles sont le fait de notre nature d’animal politique ; leurs existences échappent donc totalement à leur volonté et malmènent leur orgueil. Nous avons là une explication de cette défiance surprenante qu’ils ne peuvent s’empêcher de nourrir à l’égard de l’autorité politique qu’ils ont pourtant élue.