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Le massacre des Suisses au 10 aout 1792

Ou comment naquit la République

lundi 16 juin 2008, par Valancony

La Confédération Helvétique ne montre pas un penchant particulier pour les décorations, civiles ou militaires. Elle ne décerne aucun ordre et interdit à ses ressortissants de recevoir de semblables récompenses des gouvernements étrangers. Cette manière de faire donne encore plus de prix aux deux exceptions dont bénéficièrent, à l’époque de la Restauration, les Gardes-Suisses ayant servi "avec honneur et fidélité" le roi de France.

Honneur et fidélité des Suisses

Le 28 Avril 1815, la Diète fédérale créa la Médaille de la Réunion Suisse ou Médaille d’Yverdon. Les autorités voulaient ainsi récompenser les militaires des quatre régiments suisses mis à la disposition de Louis XVIII qui, par respect de leur engagement, avaient refusé de se rallier à Bonaparte durant les Cent Jours. Cette décoration frappée des armes de la Confédération et portée suspendue à un ruban rouge et blanc fut décernée à deux-mille-dix-neuf officiers et hommes du rang.

Deux ans plus tard, la même Assemblée, voulant commémorer le sacrifice des sept-cent-cinquante gardes et des cent-trente officiers suisses tombés sous les coups des émeutiers lors de l’attaque du château des Tuileries institua la Médaille du 10 Août 1792. L’insigne, encore plus simple que le précédent, s’ornait également du blason fédéral et de la mention en langue allemande : Honneur et Fidélité. Trois-cent-quatre-vingt-quinze survivants de cette journée purent l’arborer avec son ruban rouge orné d’une croix blanche. On l’attribua aussi, à titre de pieux souvenir, aux familles des militaires tués.

Le contexte et les acteurs du drame

La terrible affaire du 10 Août qui vit la chute de la Royauté et, dans les faits, la naissance de la République a été souvent racontée mais beaucoup d’historiens, pour des raisons partisanes, ont minimisé les atrocités commises par les vainqueurs. Depuis le début du mois, des rumeurs de complots et d’émeutes couraient dans Paris. Tout le monde pensait qu’un assaut décisif contre la Monarchie était proche ; C’est pourquoi, l’entourage du souverain tenta d’organiser la défense du palais des Tuileries et de ses abords.

En temps ordinaire la protection de Louis XVI et de sa famille était confiée à trois-cents Gardes-Suisses et six-cents Gardes Nationaux. En prévision des troubles, on fit appel à neuf-cents Suisses supplémentaires des casernes de Rueil et Courbevoie.

Les autorités municipales disposaient, pour le maintien de l’ordre, de neuf-cents gendarmes, à pied et à cheval, issus, en partie, de l’ancienne maréchaussée d’Ile-de-France, aux ordres du Maréchal de camp de Boissieu.

Le Roi avait également convoqué par lettre deux-mille gentilshommes connus, en principe, pour leur attachement à la Couronne. Il en vint trois-cents ! A ces effectifs, il faut ajouter quelque deux-mille Garde Nationaux venus des sections parisiennes avec empressement ou réticence. Tout ceci formait un corps d’environ quatre-mille combattants possédant canons, chevaux et munitions.

Du côté de l’insurrection le dénombrement s’avère plus difficile. La force principale reposait sur deux-mille Fédérés, essentiellement Marseillais et Brestois. A ces émeutiers vinrent s’adjoindre, au fur et à mesure de l’avancement de la journée, des Gardes Nationaux acquis à la Révolution, des défenseurs du Château ayant fait défection et des agitateurs familiers de toutes les rébellions.

La faiblesse d’un monarque qui ne voulait pas verser le sang

Le 9 Août, peu avant minuit, le tocsin du faubourg Saint-Antoine répondant à celui des Cordeliers donna le signal de la révolte. Trois heures plus tard, Mandat, commandant en chef de la Garde Nationale, convoqué à l’Hôtel de Ville par le comité insurrectionnel se trouva destitué, arrêté et massacré. Peu après une patrouille venue du château des Tuileries, fut surprise aux abords des Champs Élysée par des révolutionnaires et mise à mort. Les têtes des victimes ornèrent les piques des "patriotes".

Après bien des hésitations et bien des craintes, les insurgés renforcés tardivement par les sectionnaires de Santerre, qui venait d’être promu commandant de la Garde Nationale, s’approchèrent du palais. Ils attendaient la capitulation du Roi ou l’ordre d’assaut. Pendant ce temps, Roederer, Procureur-syndic du département de Paris, lequel passait pour un modéré mais qui, en réalité penchait pour l’abolition de la monarchie, tentait de convaincre Louis XVI de se mettre sous la protection de l’Assemblée législative. Celle-ci siégeait à deux pas, au Manège. Le monarque hésitait à prendre cette décision qui mettait en cause son pouvoir.

Comme pour gagner du temps, il descendit dans la cour afin de passer les troupes en revue. Acclamé par les uns, conspué par les autres, il ne trouva pas les mots et les gestes susceptibles de galvaniser les plus fidèles. C’est sans mot dire qu’il passa devant le corps des gentilshommes prêts à mourir pour sa personne. Revenu dans ses appartements, après d’ultimes conversations avec ses conseils, le Roi accepta de se rendre à l’Assemblée.

Pour assurer sa sauvegarde et celle de la famille royale on détacha trois-cents Gardes et leurs états-majors, affaiblissant ainsi le dispositif de défense des Tuileries. On espérait encore éviter l’affrontement.

Cependant, vers 9 heures, la porte de la Cour du Carrousel se trouvant ouverte, les émeutiers s’approchèrent du palais. Ils échangèrent des insultes avec la garnison puis quelques hommes déterminés arrivèrent à désarmer deux Suisses, factionnaires devant le grand escalier.

La réplique ne se fit pas attendre et la bataille commença. Les défenseurs se conduisirent avec héroïsme mais le nombre les submergea et les munitions leur firent défaut. Aux fusillades succédèrent les corps-à-corps dans les cours, les jardins et les appartements.

Réfugié dans la loge étroite du "Logographe" Louis XVI instruit de la tournure prise par les événements ordonna à ses troupes de cesser le feu. Au demeurant peu de combattants reçurent son message car tout semblait désorganisé.

La furie révolutionnaire et ... l’horreur

A 11 heures, toute résistance avait cessé. Alors débuta le temps du massacre. Nicolas Ruault, bourgeois de Paris, peu suspect de royalisme, nous donne son témoignage :

« Les corridors, les offices, les combles, toutes les issues secrètes et jusqu’aux armoires sont visitées ; on y égorge tous les malheureux (Suisses) cachés dans ces coins et détours ; d’autres sont jetés vivants par les fenêtres, implorant en vain la grâce de la vie, et sont percés de piques sur la terrasse du jardin et le pavé des cours. Une centaine d’entre eux se sauvaient par la cour de Marsan ; ils sont arrêtés rue de l’Échelles et tués à coups de sabre et de pique ; leurs corps dépouillés nus et mutilés pour la plupart dans les parties secrètes, sont empilés sur le pavé par couches mêlées de paille et restent exposés à la vue de tous jusqu’au lendemain ».

« Quatre Gardes-Suisses », ajoute l’historien Jérôme Bodin, « furent découpés en morceaux dans les appartements de la Reine. » Le même auteur note par ailleurs qu’« une centaine de gentilshommes périrent dans la salle d’audience » et que « des huissiers, des valets de chambre furent égorgés, des marmitons jetés vivants dans bassines d’eau bouillante ».

Les quelques cent Suisses qui avaient eu connaissance des ordres du Roi tentèrent de se rendre sans combattre dans la salle du Manège. Trente d’entre eux périrent en chemin. Soixante Gardes, désarmés, cherchant à rentrer à Courbevoie furent arrêtés par un détachement de gendarmes et conduits à l’Hôtel de Ville. Là, on décida de leur mort. Ils furent passés au fil de l’épée dans une petite cour intérieure de la Maison commune et on les dépouilla, perçant leurs corps à coups de pique, les jetant enfin dans des tombereaux amenés pour la circonstance. Nicolas Ruault qui vécut la scène ne put s’empêcher d’écrire :

« J’ai vu les Cannibales qui chargeaient ces cadavres, les mutiler dans leurs parties secrètes, et leur donner en ricanant, des petits soufflets sur les joues et les fesses ».

Des femmes "bien mises" ne furent pas les dernières à se conduire suivant la pire indécence.

On comprend aisément que, dans ces conditions, le gouvernement de Berne ait, en 1989, décliné l’invitation faite par la République française de s’associer à la célébration du bicentenaire de la Révolution.


Voir aussi :
Le 10 aout 1792 par Georges de CADOUDAL (1823-1885)