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Garcia Moreno (1821-1875) ou l’inexpérience politique

Du suicide démocratique des sociétés chrétiennes

lundi 14 septembre 2009, par Surville

Depuis l’arrivée de la Révolution et la chute des monarchies chrétiennes, les catholiques cherchent désespérément un régime politique qui leur convienne. Sans pouvoir l’expliquer, il semble qu’ils aient décidé eux aussi de tourner le dos à l’expérience. Voguant vers l’utopie, ils scrutent l’histoire à la recherche d’un régime catholique. Qu’importe sa durée, son échec, son établissement. Il a existé, voilà tout. Ils nous présentent parfois l’un de ces rares régimes dont aucun n’a pu dépasser la cinquantaine, et tout frémissant d’admiration nous assènent : « voilà la civilisation chrétienne ! »

De la démocratie sous Garcia Moreno comme modèle de civilisation chrétienne

Dernièrement, c’est Garcia Moreno qui nous est proposé, introduit par ces citations de saint Pie X :

La civilisation n’est plus à inventer, ni à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est : c’est la civilisation chrétienne, la cité catholique. Il s’agit de la restaurer sur des fondements naturels et divins : omnia instaurare in christo [1].

… voici un autre modèle de chef d’État catholique : le célèbre Garcia Moreno, président martyr de l’Équateur.

Il ne s’agirait que de nous présenter les qualités, les vertus de cet homme public qui sut allier à la fois les plus hautes charges de l’État et celles du chrétien, nous aurions apporté nos félicitations. Mais introduit d’aussi bonne manière, nul doute que l’on veut nous présenter l’exemple d’une authentique restauration chrétienne. Or nous pensons que cet homme vertueux fut, sur plusieurs points essentiels, un piètre homme politique. Voilà, le mot est jeté. N’y voyez cependant aucune animosité contre Garcia Moreno. Nous touchons simplement du doigt cette faiblesse inhérente à notre milieu catholique de refuser l’analyse politique.

Bref rappel historique

En 1861 Garcia Moreno est élu président de l’Équateur ;
rapidement il développe une authentique politique chrétienne, qui tout au long de ses mandats, s’avère fructueuse : ouverture d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, épuration de la dette publique, religion catholique placée comme religion d’État, etc.

Plus surprenant : il s’efforce de mettre en place le suffrage universel ― il était alors censitaire ― dont Claude Mouton nous affirme « qu’il paraissait valable à une époque où le peuple croyant n’avait pas été entièrement dévoyé par les intellectuels révolutionnaires [2]. »

En 1865 son mandat se termine et les institutions ne lui permettent pas de se représenter.
Il se rassure vite sur le sort de son pays car son dauphin est élu. Pourtant, au bout de quelque temps, ce dernier s’écarte complètement de la politique précédente.
Aux élections suivantes, ce n’est que de justesse que Garcia Moreno réussit à faire élire un avocat catholique, qui, à son tour dévie rapidement ! !

En 1869, un peu avant la fin du mandat de son second successeur, l’armée renverse le gouvernement et porte Garcia Moreno au pouvoir.
Que tire-t-il de son expérience ? Change-t-il l’institution ? Abolit-il la démocratie ? Non ! il pense simplement créer un Vice-Président, supprimer la non-réégibilité du Président et porter le mandat à six ans.

En 1873, pour attirer la Grâce divine sur son pays, ce fervent chrétien consacre son pays au Sacré-Cœur.

En mai 1875 il est réélu et sans faire campagne.

En août de la même année, il est assassiné. Un libéral lui succède, puis très vite le pays retourne à l’anarchie.

Petite analyse

**Première remarque

À peine son premier mandat fini, ses deux dauphins ― tous les deux de bons catholiques ― trahissent son programme.
À peine Garcia Moreno disparaît-il que le pays retourne à la Révolution.

De là, il faut bien conclure que :

  • le système démocratique ne permet pas la pérennité du bien commun,
  • ce système exerce une telle pression sur les élus catholiques, qu’il les pousse à mener une politique fort éloignée de leurs principes et finit presque toujours par les dévoyer.
  • si Garcia Moreno, et lui seul, a réussi à établir une politique chrétienne, c’est bien en raison de sa vertu personnelle, de sa force de caractère vraiment extraordinaire. D’ailleurs Claude Mouton le concède : « C’est dire qu’il fallait vraiment un caractère d’acier comme celui de Garcia Moreno pour pouvoir gouverner contre le Congrès sans être renversé avant la fin de l’exercice [3]. »
    Le bien immense, la politique chrétienne de ce pays ne reposait donc sur aucune institution, mais sur les vertus d’un seul homme ! ! !

**Deuxième remarque

On ne peut que s’étonner du manque de clairvoyance de Garcia Moreno ― comme d’ailleurs de tant d’autres catholiques ou royalistes ― sur la vraie nature du système démocratique :

Manque de clairvoyance quand il cherche à instaurer le suffrage universel pour obtenir le soutien du peuple alors très majoritairement catholique.
On trouve déjà ce vieux fantasme avec les Ultras sous la Restauration de Louis XVIII et Charles X : donner la parole au « pays réel », au « bon peuple catholique » qui ne saurait mal voter. À l’inverse des libéraux, ces royalistes ne cessaient de réclamer la baisse du cens pour permettre à une population rurale qui leur était favorable, de voter. Finalement, à cause de ce calcul simpliste, ce furent bien les Ultras qui établirent en France le système parlementaire, et ce de manière durable. Le suffrage universel est un leurre ; intrinsèquement pervers, il s’est toujours retourné contre les chrétiens. La somme des vertus de chacun n’a jamais fait un pays vertueux grâce au suffrage universel.

Manque de clairvoyance quand, après avoir été trahi deux fois par ce système ― malgré la mise en place de catholiques tels que lui ― il se contente de donner au pays des solutions à court terme qui lui permettront d’être réélu (création d’une vice-présidence, suppression de la non-réégibilité du Président et prolongation du mandat à six ans.) Que n’a-t-il pas abrogé la démocratie à son retour triomphal de 1869 alors que la ferveur populaire le soutenait et que tout était possible…

Il n’est pas inintéressant de comparer cette situation avec celle de Napoléon III. Celui-ci, à l’issue de l’insurrection parisienne, se fait élire en 1848 avec notamment l’appui irrationnel des catholiques dont Louis Veuillot. Il fait un coup d’État le 2 décembre 1851 et le fait approuver le 21 par le suffrage universel. Le 21 novembre 1852, il fait plébisciter le rétablissement de l’Empire héréditaire. Voilà en cinq ans ce qu’un Prince encore ignoré six ans auparavant, réussit à édifier.

St Pie X affirmait que « la force des méchants vient de la faiblesse des bons. »

Les circonstances, les conditions, les contextes ne sont jamais les mêmes, mais enfin : lorsqu’après deux expériences malheureuses, le pays destitue un gouvernement et vous plébiscite, il est clair que les pleins pouvoirs ne sont pas loin. N’est-il pas alors irresponsable, voire criminel, de laisser en place des institutions dont l’expérience prouve qu’elles sont mauvaises ? Le retour à l’anarchie du pays, l’abandon de ces lois catholiques, Garcia Moreno en est en partie responsable pour n’avoir pas su donner à son pays les moyens de lui survivre.

**Troisième remarque

La consécration de l’Équateur au Sacré-Cœur n’a pas suffi à pérenniser une autorité politique catholique dans ce pays qui retourne au chaos deux ans plus tard, après l’assassinat de Garcia Moreno ! Que penser de cet échec, de ce scandale dans ce sens qu’il peut constituer un obstacle à la foi en la puissance du Sacré-Cœur ?

N’oublions pas que les demandes de consécration du pays au Sacré-cœur ne s’adressaient pas au président d’un régime démocratique mais au roy très chrétien.

Par ailleurs, faut-il rappeler que la Grâce ne se substitue pas à une nature mauvaise, mais transcende, accomplit ce qui est naturellement bon.

Or naturellement l’institution monarchique est fondée sur l’hétéronomie, la reconnaissance d’un principe d’autorité divin. L’historien des institutions Guy Augé précise :

Qu’est-ce que la monarchie, en première approximation ? C’est, substantiellement, ce régime qui légitime son autorité sur une transcendance, sur la primauté du spirituel [4].

A contrario la démocratie est fondée sur l’autonomie par rapport au divin et le philosophe Marcel Gauchet ajoute :

La république c’est le régime de la liberté humaine contre l’hétéronomie religieuse. Telle est sa définition véritablement philosophique [5].

Dès lors, on comprend que la Grâce puisse soutenir et magnifier la monarchie qui reconnaît naturellement Dieu comme source de l’autorité, mais qu’elle n’agrée pas le régime démocratique qui Le rejette par définition.

Prétendre le contraire, ne serait-ce pas entrer en contradiction flagrante avec la citation de St Pie X ci-dessus : « sur des fondements naturels et divins  » ?

De là l’ineptie de ceux qui espèrent encore baptiser la République, et qui essaient de nous faire croire que le Sacré-Cœur peut être apposé au drapeau tricolore révolutionnaire !

Conclusion

Alors, peut-on raisonnablement proposer comme modèle de civilisation chrétienne la démocratie sous Garcia Moreno ? Doit-on se contenter d’attendre ce miracle de la Providence qui serait de susciter ― juste le temps de quelques mandats ― un homme extraordinaire capable de résister à la subversion inhérente au régime démocratique, pour ensuite, à sa disparition, retomber immanquablement dans une nouvelle errance ?
Est-ce cela la civilisation chrétienne ? Ne devrait-on pas en priorité, s’inquiéter de la nécessité d’une bonne institution et travailler à son rétablissement ?

Il convient cependant d’atténuer un peu notre propos sur l’Équateur de Garcia Moreno en considérant qu’à cette époque, c’est un pays récent qui se cherche. Nous ne pouvons lui demander en moins d’un siècle de trouver l’institution qui lui convienne, même s’il bénéficie de l’expérience d’autres pays et notamment de la France où Garcia Moreno a longtemps séjourné.

Mais dans ce cas, combien est-il illogique de présenter un système naissant comme symbole de restauration chrétienne. C’est un peu comme présenter Clovis et son gouvernement comme un exemple à suivre pour restaurer la civilisation chrétienne. C’est faire table rase de quinze siècles d’expériences.

Que nous proposez-vous une Institution qui incita la maison de Montmorency à donner onze maréchaux à la France, qui incita trente-cinq Choiseul, vingt-quatre Colbert, vingt-deux Menou à mourir au combat, qui incita la famille de Phélypeaux à fournir en moins de deux siècles, dix ministres ou secrétaires d’État. Présentez nous une Institution qui nous apprend ainsi à servir. Et croyez-le, cette institution a bel et bien existé !


[1Saint Pie X, Lettre sur le Sillon.

[2Lecture et Tradition, n° 229/230.

[3Lecture et Tradition, n° 229/230.

[4Guy Augé, « Qu’est-ce que la monarchie ? » , La Science Historique, printemps-été 1992.

[5Marcel Gauchet, « La république aujourd’hui », La revue de l’inspection générale, n°1, Janvier 2004