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Dieu, principe et modèle de toute autorité

Du bon exercice de l’autorité royale

dimanche 11 octobre 2009, par P.PierreMarie

Nul espoir de rétablissement d’une société naturelle et chrétienne sans s’attacher d’abord à restaurer l’autorité. L’autorité impose à qui l’exerce des devoirs, le sacrifice de sa personne et la mission de conduire ceux dont il a la charge à mener une vie bonne ; alors il suscite l’amour. Logiquement le modèle de toute autorité se trouve dans sa source même : Dieu. Quelles sont dans cette perspective les perfections du chef, et comment celui-ci doit-il s’y prendre pour les acquérir ?

Introduction

Le pouvoir du roi lui vient de Dieu et il exerce la suprême autorité temporelle en son nom. Nous donnons ici quelques considérations sur la manière, pour un roi, d’exercer l’autorité conformément à ce principe.

Nous nous inspirons principalement du livre de Dom Claude Martin, Le Pasteur Solitaire. [1]

Ces considérations sont davantage des conseils spirituels qu’un traité politique.
Nous espérons ainsi être plus accessibles et plus utiles à tous ceux qui, ne serait-ce que de manière très éloignée, participent à l’autorité royale en ayant quelque responsabilité.

Une autorité combattue et mal connue

Tout pouvoir légitime vient de Dieu (voir Rm 13,1) [2] et a la capacité d’obliger en conscience au nom de Dieu, non pas à cause de la science des supérieurs, de leur prudence ou de quelque autre qualité qui est recherchée dans l’exercice de l’autorité, mais en vertu de la volonté de Dieu. [3] C’est pourquoi celui qui résiste à l’autorité légitime exerçant légitimement son autorité, « résiste à l’ordination divine » (Rm 13, 2). [4]

Ainsi s’exprimait le cardinal Ottaviani dans le Schéma préparatoire à une constitution sur l’Église pour le concile Vatican II.

Ce bref paragraphe contient un principe important contre la Révolution. Celle-ci détruit l’autorité en prétendant qu’elle provient des inférieurs :

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 3 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Si l’on veut rétablir l’ordre naturel chrétien, il faut commencer par rétablir la vraie notion de l’autorité, et affirmer que celle-ci vient de Dieu et non du peuple.

Toutefois il ne suffit pas de rétablir le principe. Car la « crise de l’autorité », nous dit le même schéma, ne provient pas seulement « de doctrines erronées », « mais aussi parfois d’un pouvoir mal compris et mal exercé. »

Le roi, le père du peuple, doit être pour ses sujets un modèle dans la manière d’exercer l’autorité. Nous allons voir comment le roi doit, dans l’exercice de celle-ci, imiter un certain nombre de qualités ou d’attributs de Dieu.

Tout ce que nous dirons ici s’appliquera donc, toute proportion gardée, à ceux qui doivent exercer une autorité, ne serait-ce que celle de père de famille.

Dieu est

« Je suis celui qui suis » (Ex 3, 14)

Dieu existe, mais Il a une existence toute particulière. Il est indépendant de tout. En philosophie, on dit qu’il est l’ “ens a se”, l’être qui existe par lui-même.
Par contre, tout ce qui existe en dehors de lui, dépend de Lui : Il est le premier “moteur immobile”, la première cause, l’être absolument nécessaire, le premier être, la fin de tout.

À première vue, cette qualité de Dieu semble inimitable. Et pourtant le roi doit avoir une part de cette supériorité : une certaine indépendance, à l’opposé de ce que pense la démocratie moderne. En effet l’autorité vient d’en haut, elle vient de Dieu, et elle n’est pas une émanation du peuple.

Pourtant cette indépendance du roi n’est pas absolue. Même si le roi ne connaît pas de supérieurs dans le domaine temporel, il doit dépendre de Dieu et chercher à connaître Ses volontés. Il doit se soumettre aux règles de la raison et aux lois de l’Évangile. Et s’il s’écarte de ses lois et tombe dans le péché, il peut être repris par les supérieurs ecclésiastiques du fait de la juste subordination du temporel au spirituel.

Le roi doit même, en quelque sorte, être soumis à sa propre supériorité, en ayant les qualités convenables à sa charge, selon l’adage : « Noblesse oblige ».

Dieu est esprit

Dieu est esprit (Jn 4, 24)

L’être de Dieu est purement spirituel : Il est sans aucune matière. On dit en philosophie que Dieu est sans aucune puissance, qu’il est “acte pur”. Il est plus spirituel que les anges (dont l’essence est en puissance par rapport à leur être), Il est l’être pur, l’“être même subsistant”.

Les expressions corporelles que nous utilisons pour parler de Lui sont des métaphores. Nous disons (avec le langage de la Bible) qu’il est :
 élevé en raison de Sa divinité,
 profond en raison de Sa sagesse,
 long en raison de Son éternité,
 large en raison de Sa charité,
 debout en raison de Sa force,
 assis en raison de Sa stabilité,
 qu’il dort en raison de Sa paix,
 qu’il a des oreilles, des yeux, des mains et des pieds pour l’opposer aux idoles qui sont sans vie, sans puissance et ne peuvent rien connaître.

Le roi doit participer de cette spiritualité.
 D’abord parce qu’il doit gouverner selon la raison, la partie spirituelle de sa nature et non pas suivant ses passions.
 Mais aussi parce qu’il doit gouverner des sujets qui ont une âme.

Certes le roi n’exerce pas directement une autorité spirituelle sur les âmes, comme les chefs ecclésiastiques, mais il doit indirectement veiller au salut des âmes, en exerçant l’autorité temporelle de la manière la plus favorable pour cela.

Le pape Grégoire XVI dans son encyclique Mirari Vos n’hésite pas à dire que cette fonction spirituelle, même si elle est accidentelle, est la plus importante pour le prince. C’est pour cela que le roi est sacré : il reçoit des armes spirituelles pour combattre les ennemis spirituels des âmes.

Pour participer à cette spiritualité de Dieu, le roi doit d’abord avoir une vraie vie spirituelle.
Il doit fermer son cœur aux affections terrestres, savoir dompter son corps et ses sens. Il doit fermer ses yeux aux vanités, ses oreilles aux flatteries, aux curiosités et aux médisances. Intermédiaire entre Dieu et son peuple, le roi doit s’élever de terre par son attachement à Dieu, par une vie de foi, d’espérance et de charité, et posséder les dons du Saint-Esprit.

Dieu est simple

« Je suis » (Ex 3, 14)

C’est la conséquence de Sa spiritualité : un esprit n’est pas divisible.
Dieu est partout, mais Il est tout entier en chaque endroit. Il contient toutes les perfections, mais chacune est identique à Lui-même. Il est présent à chaque instant, mais Il vit dans l’unique instant de l’éternité. Il se communique à trois personnes distinctes entre Elles mais sans aucune division. Il est un point indivisible d’une profondeur infinie : Son être est d’une simplicité et d’une pureté infinies.

Le roi doit imiter cette simplicité dans son intention. Cette simplicité éclaire le cœur, l’esprit et même le corps, comme dit Notre-Seigneur : « si l’œil de ton âme est simple, tout ton corps sera lumineux » (Lc 11,34).

Quand on exerce une responsabilité, surtout celle de roi, on est facilement accablé de soucis et de tâches diverses. Il y a un danger de se disperser. Il faut s’appliquer à être tout entier à chaque tâche, et pourtant à rester simple dans son intention.

Cette simplicité est source de paix. Tandis que l’homme divisé en lui-même est troublé et source de trouble pour son entourage.

La simplicité de l’intention vient de la simplicité de l’amour. Si l’amour du roi se porte tout entier sur Dieu, son cœur sera simple. Qu’en lui ne règne qu’un amour, en lequel sont enfermés tous les autres.
En un mot, la devise du roi comme la nôtre, doit être : « Dieu premier servi !  »

Dieu est invisible

Honneur et gloire au seul Dieu, le roi éternel, immortel et invisible. (1 Tm 1,17)

On ne peut voir Dieu, ni avec les yeux du corps, ni avec l’imagination, ni même avec notre esprit : nos idées sont trop mêlées de matière et aucune ne saurait Lui être semblable. Il faudra pour Le voir, être élevé par la lumière de gloire, recevoir une sorte d’“œil divin”.

Le roi comme tout supérieur, doit être mort au monde, et sa vie cachée en Dieu avec Jésus-Christ. Il doit agir sur le monde sans y être attaché, sans être mondain. L’essentiel de sa vie doit être sa vie intérieure.

Un roi doit, par sa fonction, mener une vie active, et avoir beaucoup de contact avec le monde. S’il veut ne pas perdre son âme, il doit savoir ménager des temps de retraite, de récollection, des moments où il peut parler seul à Dieu.

Dieu est présent partout

« Je remplis le ciel et la terre » (Jer 23, 24)

Dieu est “immense”, sans limite : Il est une sphère spirituelle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Il est partout par Sa puissance (rien ne peut s’y soustraire), par Sa connaissance (Il n’ignore rien), et par Son essence (Il est présent immédiatement à tout ce qui est, en lui donnant l’existence). Il touche toutes les choses, et les choses ne Le touchent pas. Il est plus présent à nous-mêmes que nous ne le sommes (car Il est présent tout entier à chaque partie de nous-mêmes et Il est la source de notre existence).

Le roi doit aussi être présent à ses sujets par sa puissance, faisant sentir son activité dans tout le royaume. Il éclaire les esprits, anime les courages, défend les faibles, soutient les bons, punit les méchants.

Il doit être présent par sa connaissance
, ayant une vue exacte de la situation de ses États, et surtout il doit bien connaître ses ministres et conseillers. Il doit favoriser l’ouverture de cœur de ceux qui peuvent l’aider, et se laisser facilement approcher, comme le faisait saint Louis sous le chêne de Vincennes.

Enfin le roi doit être présent par lui-même, en ne s’éloignant pas de ses sujets, même quand ceux-ci l’offensent ou lui sont à charge. Il doit s’efforcer de pénétrer dans les cœurs par une douce intuition d’amour pour les amener à vouloir et faire le bien. Si le roi, qui est la tête de son peuple, s’éloigne de ses sujets, ne serait-ce que moralement, il y a péril de mort, et pour le corps, et pour la tête.

Dieu est vivant

« Moi je vis », dit Dieu (Jer 22, 24)

À la différence des idoles mortes qui ne parlent pas, notre Dieu parle, ce qui est déjà une preuve de Sa vie ; et précisément Il nous dit qu’Il vit.

Dieu est une pure intelligence, et Sa vie est, à proprement parler, une contemplation de Lui-même, Dieu fait jaillir la vie en engendrant Son Fils qui est Son Verbe.

La vie de Dieu, cette contemplation de toutes Ses perfections, est le principe de Son repos (sa béatitude) et de Ses mouvements intérieurs (les processions du Fils et du Saint-Esprit) et extérieurs (la création, car Il « fait toute chose dans son intelligence » (Ps 135, 5). La contemplation en Dieu est lumineuse, car elle produit le Verbe, et ardente puisqu’elle produit le Saint-Esprit.

La vie d’un homme spirituel consiste d’abord à contempler Dieu. Et le roi qui doit être un homme spirituel, doit être un homme d’oraison.

Qu’on n’objecte pas que la vie du roi est plus une vie de Marthe (vie active) que de Marie (vie contemplative). Car s’il est roi accompli, il doit être les deux, comme Moïse qui portait à Dieu les vœux et prières de son peuple, et revenait vers son peuple chargé des volontés de Dieu.
N’oublions pas que le roi doit être un “lieu-tenant” de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que celui-ci sut allier parfaitement la contemplation et l’action.

Comme la vie est continue, ainsi devrait-il en être de l’oraison. Le roi doit rester en présence de Dieu quand il agit, faisant tout en sa vue, sans précipitation ni trouble, le consultant comme un conseil domestique (pensons à sainte Jeanne d’Arc), agissant par sa lumière et son mouvement. Une telle conduite est douce au roi, utile à son peuple, glorieuse à Dieu.

Dieu est parfait

Soyez parfaits, comme votre père céleste est parfait. (Mt 5, 48)

La perfection est un trait caractéristique de Dieu, au point qu’on peut donner de Lui cette “quasi-définition” : « Dieu est l’être parfait ».
Quand Moïse Lui demande de montrer Sa gloire, Il se nomme celui qui est « tout bien » (Ex 33, 19).
Dieu possède toutes les perfections “simples”, c’est-à-dire celles qui ne contiennent aucun mélange d’imperfection dans leur notion. Dieu est sage, bon, juste, miséricordieux, providence, etc. Toutes ces perfections sont subsistantes en Dieu, identiques à Lui-même.

Quant aux perfections “mixtes” qui contiennent quelque imperfection dans leur notion (comme par exemple l’obéissance qui ne se trouve que dans un inférieur), Dieu les possède “virtuellement”, c’est-à-dire il en possède toute la perfection sans l’imperfection.

Si tout enfant de Dieu doit être parfait, c’est surtout le cas des supérieurs qui gouvernent en Son nom. L’Écriture les nomme même des “Dieux”. [5] Leurs vertus doivent être pures et divines. Il faudrait qu’ils puissent dire ce que disait saint Paul : « soyez mes imitateurs comme je le suis de Dieu ». [6] Ils sont, par rapport à leurs inférieurs, comme des “seconds originaux” qui doivent servir de modèle.

Ainsi le roi doit posséder les perfections “simples” : la sagesse, la bonté, la justice, la miséricorde, la prudence, etc.

Mais il doit posséder aussi les perfections “mixtes” qui ne peuvent exister telles quelles en Dieu (car elle supposent une imperfection) mais qui sont chez nous des qualités. Telles sont : l’obéissance, l’humilité, la pénitence, etc.

Dieu est sage

Sa sagesse est sans mesure (Ps 146, 5).

Cette sagesse de Dieu est Son trésor (D’après Sg 7, 14.), qui contient la connaissance de Lui-même et celle de toutes les créatures, qu’il connaît sans cesse et sans fatigue. « Ô profondeur de la sagesse et de la science de Dieu ! » s’écrie saint Paul (Rm 4, 17).

La sagesse de Dieu nous dit l’Écriture Sainte, « assiste Son trône » (Sg 9, 4) et elle était présente lors de la création de toutes choses (Prov 8, 29).

La sagesse doit être la compagne du roi dans ses conseils et dans sa conduite.
Et comme « Dieu a répandu Sa sagesse sur toutes Ses œuvres » (Eccl 1, 10), donnant à chaque chose la place qui lui est due, ainsi le roi doit disposer les personnes et les choses qui sont sous sa conduite avec tant de prudence et de lumière qu’elles portent les marques de sa sagesse : C’est ainsi que la Reine de Saba s’est émerveillée en voyant comment Salomon avait organisé son royaume.

Pour acquérir cette sagesse, il faut - à l’imitation de Dieu - que le roi applique son esprit aux choses élevées, ne considère les choses inférieures que par des raisons spirituelles et des motifs divins, n’agisse qu’après avoir consulté Dieu et sa raison, pesé et considéré les circonstances convenables.

Tout cela ne peut se faire que s’il domine bien ses passions, s’il pratique les vertus, s’il s’entretient fréquemment avec Dieu qui seul peut donner cette sagesse :

Donnez-moi, Seigneur, cette sagesse qui vous accompagne dans le trône de votre gouvernement (Sg 9, 4).

Envoyez-la de votre ciel où il n’y a que sainteté, et de votre siège où il n’y a que grandeur et majesté, afin qu’elle demeure avec moi et qu ’elle m’accompagne dans mes travaux, afin encore que j’apprenne par son moyen ce qui vous est agréable ; car elle n ’ignore rien, et elle me conduira dans mes actions et dans mes voies, et elle me soutiendra par sa vertu (Sg 9, 10-11).

Dieu est aimant

Vous aimez ce qui existe, et vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait (Sg 11, 25).

Non seulement Dieu s’aime Lui-même (le bien infini) et en s’aimant produit un Amour substantiel (le Saint Esprit), mais encore Il élargit en quelque sorte Sa bonté (en créant d’autres êtres bons) pour pouvoir dilater son cœur et son amour.

Dieu nous aime
 comme un père (en nous donnant notre corps, notre âme, et même la vie surnaturelle),
 comme une mère (Il nous a enfanté dans la douleur et est même mort dans cet enfantement),
 comme un frère (Il nous donne une part de Son héritage),
 comme un époux jaloux (et qui nous est uni par des liens de grâce plus intimes, plus forts, plus purs, plus saints, plus doux, plus fermes, plus constants, plus féconds que ceux du mariage naturel),
 comme un ami (Il nous communique ses mystères et même Sa nature).

Le roi doit aimer ses sujets, c’est son premier devoir, et il doit être prêt à verser son sang pour eux, et par conséquent tout le reste. Si Dieu a voulu établir des hommes à Sa place, leur donnant une part de Son autorité, c’est pour qu’ils les aiment et les conduisent en Son nom.
L’amour du roi pour ses sujets, c’est l’amour de Dieu dans un homme. Cet amour doit être à l’image du sien : immense, constant, pur, fécond et actif.

Dieu semble nous aimer au point de tout faire pour nous : Il nous donne son Fils, son Saint Esprit, sa grâce en attendant sa gloire. Le roi aussi doit tout faire pour ses sujets, et en particulier pour leur salut. Et comme Dieu, il doit continuer d’aimer même ceux qui ne le lui rendent pas.

Dieu est aimable

« Je te montrerai tout bien » répondit Dieu à Moïse qui lui demandait de lui révéler sa gloire (Ex 33, 19).

Dieu est infiniment bon, contenant toute perfection qui puisse être aimée, et donc infiniment aimable ; il est infiniment beau (puisqu’il a toutes les proportions, l’intégrité, la splendeur sans défaut), et donc infiniment désirable.

Ce qu’il y a de plus aimable en Dieu, c’est l’amour qu’il a pour nous, nous donnant l’être, la grâce, Son Fils (et tout le reste avec lui), Lui-même, et bientôt le ciel. Et s’il est aimable ici-bas, que sera-ce quand nous Le verrons tel qu’il est !

Un roi, comme tout supérieur, doit se faire aimer pour gagner les cœurs et les appliquer plus facilement au bien. Ses sujets sont des hommes, avec corps et âme : il doit les aider à faire leur devoir, et à le faire bien. Son amour pour eux est l’aimant par lequel il attire le leur et les pousse ainsi au bien.

Un roi doit se faire aimer comme il doit aimer : en Dieu et pour Dieu. S’il les aime, c’est de la part de Dieu, et s’il se fait aimer, c’est parce qu’il tient la place de Dieu dont il est le représentant.

Ainsi le roi, comme tout bon supérieur, est un médiateur d’amour. Il n’étouffe pas l’amour que Dieu porte aux hommes, et il ne retient pas celui que les créatures lui portent.

Dieu s’est servi de deux moyens pour gagner les cœurs :
 Il a aimé d’un amour effectif (nous donnant quantité de bienfaits) et
 Il s’est abaissé jusqu’à nous par une conversation familière (avant l’incarnation, Dieu était plus craint qu’aimé).

Le roi doit savoir, à l’imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, aimer ses sujets d’un amour effectif et toucher leur cœur par une aimable simplicité.

Dieu est fort et doux

Il atteint toute chose avec force et douceur (Sg 8, 1).

Le gouvernement du roi, comme celui de Dieu, doit être tempéré de sorte que sa force ne s’élève pas jusqu’à la sévérité, et que Sa douceur ne s’abaisse pas jusqu’à la faiblesse et au relâchement.

Cette force de Dieu, c’est la fermeté avec laquelle Il veut que Ses créatures obéissent à ses lois. Les créatures immatérielles obéissent à la perfection. Et si l’homme peut désobéir à certaines lois de Dieu, celles de Sa grâce, c’est pour tomber sous d’autres lois, celles de Sa justice.

Si le gouvernement du roi est faible, la discipline se fonde sur le sable. Ses inférieurs sont laissés aux gré de leurs passions, de leurs intérêts, de leurs inclinations.

Pour que le gouvernement soit fort, il doit s’appuyer sur des principes solides : sur la loi de Dieu et sur la raison ; puis il doit parler et agir conformément à ces principes.

Mais avant tout il faut que le roi soit fort par rapport à lui-même, pour qu’il soit comme une règle vivante, à l’image de Dieu. Alors, naturellement, il voudra que tout soit droit comme lui, et ses sujets se porteront facilement à suivre les mouvements d’un prince qui ne demande rien qu’il ne fait lui-même.

Tout en agissant pour rendre les créatures conformes aux lois, Dieu ne fait pas violence à leurs inclinations naturelles, donnant aux unes d’agir nécessairement, et aux autres librement comme si elles agissaient seules.

Il ne nous commande rien d’impossible, et est toujours prêt à nous donner les forces nécessaires. Il reprend avec douceur, punit avec miséricorde, nous diminuant la pénitence ou nous la rendant aimable.
Sans la douceur, la force est faible. La douceur est une huile qui facilite le mouvement, de celui qui commande comme de celui qui obéit. Salomon régna pacifiquement sur un vaste empire, mais son fils Roboam provoqua la défection de la plus grand partie de ses sujets par sa sévérité.

Dieu lui-même ne fut servi que par une nation quand Il se présenta comme le “Dieu des armées”. Mais depuis qu’il s’est présenté comme “doux et humble de cœur”, Son empire s’étend sur toute la terre.

Ainsi le roi doit savoir modérer son autorité selon les nécessités, mesurer les forces de ses ministres et de ses sujets sans leur imposer plus qu’ils ne peuvent porter. Il doit avertir, corriger, mais avec douceur, semblant entrer dans les cœurs pour faire aimer la correction.

« Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre » (Mt 5, 4).

Dieu est juste et miséricordieux

Dieu est un juste juge (Ps 7, 12) ; la terre est remplie de la miséricorde de Dieu (Ps 32, 5).

Dieu est un juge très exact qui châtie tous les péchés. Notre-Seigneur lui-même a souffert une passion très cruelle pour réparer très exactement tous nos péchés.
Mais Sa justice ne s’exerce jamais sans Sa miséricorde, dont Il se fait une gloire : au ciel on se réjouit plus d’un pécheur à qui Dieu fait miséricorde, que de cent justes qui n’en ont pas besoin. Sa miséricorde est comme une huile qui surpasse tout le reste : « Sa miséricorde est sur toutes les œuvres » (Ps 144, 10).

Le roi doit être juste, c’est l’un de ses attributs fondamentaux. Et c’est pourquoi il reçoit comme insigne de sa royauté la “main de justice”, figure de la justice de David (dont le nom signifie “fort par la main”). Il tient une règle sainte à laquelle il doit conformer sa vie et celle de ses sujets, donnant des coups comme l’ouvrier sur la pierre qu’il taille.

Ce ne sont pas les péchés qui perdent les lois, mais l’impunité qui les laisse sans châtiment ; non pas les inférieurs qui pèchent, mais les supérieurs mous qui ne font pas justice.

Pour y parvenir, outre la justice dans sa volonté, le roi doit avoir la sagesse dans son esprit, la tranquillité dans ses passions, la fermeté dans l’exécution, ne se laissant fléchir que par les larmes de la pénitence.

Pourtant, en voyant les misères de ses sujets d’un œil, il doit voir les siennes propres de l’autre pour pouvoir compatir dans son âme.
Il doit imiter Dieu qui ne nous punit pas tout de suite, et qui nous poursuit de Ses grâces antécédentes, concomitantes, subséquentes. Comme Dieu, il doit savoir faire usage, selon les circonstances, de promesses, de menaces, de prières, de force, frappant légèrement ou énergiquement, bref laissant inexcusables ceux sur lesquels s’exerce sa justice.

« Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux » (Lc 6, 36).


[1Édition originale en 1686. Réédité en 1952 par Alsatia (Paris), sous le titre Perfection du Chef, avec préfaces et notes de Dom René-Jean Hesbert. Dom Claude Martin, né à Tours en 1619, est le fils de la bienheureuse Marie de l’Incarnation, l’ursuline apôtre du Canada. Il fut assistant du Supérieur général de la Congrégation de Saint-Maur. Il fut même élu Général en 1687, mais Louis XIV opposa son veto pour se venger d’une résistance que lui avait opposée Dom Martin quelques temps auparavant. Il mourut en 1697, abbé de Marmoutier où il avait été exilé (par Louis XIV). Il a beaucoup aidé Dom Martène.

[2« Que toute âme soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par lui. »

[3Voir 1 P 2, 13-17 « soyez donc soumis à toute institution humaine ; à cause du Seigneur, soit au roi, comme souverain, soit aux gouverneurs, comme délégués par lui pour faire justice des malfaiteurs et approuver les gens de bien. Car c’est la volonté de Dieu que, par votre bonne conduite, vous fermiez la bouche aux insensés qui vous méconnaissent. Comportez-vous comme des hommes libres, non pas comme des hommes qui se font de la liberté un manteau pour couvrir leur malice, mais comme des serviteurs de Dieu. Rendez honneur à tous ; aimez tous les frères ; craignez Dieu ; honorez le roi. », et l’explication théologique de la nature de l’obéissance chez Saint Thomas d’Aquin, II-II, q. 104.

[4« C’est pourquoi celui qui résiste à l’autorité, résiste à l’ordre que Dieu a établi et ceux qui résistent attireront sur eux-mêmes une condamnation. »

[5Ex 22, 8-9 ; Ps 81, 6 ; etc.

[6Cette citation n’est pas textuellement dans Saint Paul, mais elle est en quelque sorte la synthèse de plusieurs : Ph 3, 17 ; 1 Co 4, 16 et 11, 1 ; Ep 5, 1.