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Quand le Pape Sixte V confirmait les lois fondamentales de succession de France

Le Pape qui soutint Henri IV contre la Ligue

lundi 15 juin 2009, par Brekilien

Les lois fondamentales de succession de France se sont affirmées au cours des siècles autour de trois grands principes : hérédité et primogéniture, masculinité, catholicité du roi. L’intervention miraculeuse de sainte Jeanne d’Arc montre magnifiquement que ces lois ont reçu l’agrément divin. Cependant et malgré la béatification puis la canonisation ultérieures de la Pucelle, certains minimisent cette confirmation comme relevant peu ou prou d’une “révélation privée”. Nous rappelons ici que le Magistère Suprême de l’Église ― en la personne du Pape Sixte Quint ― a lui aussi apporté sa caution solennelle à la “constitution” de l’ancienne France.

L’affaire Henri IV ou loi de primogéniture contre loi de catholicité

Reportons-nous à la fin du règne d’Henri III. Le denier Valois n’a pas d’enfant. Son successeur légitime, Henri de Navarre, descendant de Robert de Clermont, fils de saint Louis, satisfait à tous les principes de la loi de succession de France, sauf un ― et il est de taille ―, il n’est pas catholique mais protestant.

Depuis plus de trente ans, la France est ravagée par les guerres de Religion. À partir de 1576, un magnifique mouvement de défense de la foi catholique, la Ligue, s’est constitué mais, tragiquement, a pris ses chefs dans une famille qui, depuis François Ier, s’est élevée, au point de rivaliser avec la dynastie capétienne : les Guise, branche de la maison de Lorraine qui prétend descendre de Charlemagne.

Le 2 août 1589, Henri III meurt, sous le couteau de Jacques Clément. La Ligue proclame le cardinal de Bourbon ― oncle, mais cadet d’Henri de Navarre ― sous le nom de Charles X, violant ainsi le principe de primogéniture, tandis qu’une grande partie de l’armée et de la noblesse françaises reconnaît Henri de Navarre, violant ainsi le principe de catholicité.

Position du Pape dans le conflit

Face à cet imbroglio sans précédent, l’attitude pontificale sera le fruit d’une volonté intraitable de maintenir la religion catholique en France et d’un souci constant d’appréhender la spécificité française.

En effet, Sixte V, le Pape régnant, commence par pencher du côté de “Charles X”. Mais, rapidement pris d’un doute, il se renseigne, écoute les différentes parties, envoie un légat, consulte les cardinaux, analyse avec soin les motivations profondes des puissances étrangères qui se sont immiscées, hésite pour finalement conclure que la seule voie pour la France, c’est la conversion d’Henri de Navarre, autrement dit le respect simultané des trois principes de la loi de succession.

Notre article s’appuie sur l’ouvrage de Ludwig von Pastor “Histoire des Papes de Martin V à Innocent IX (1417-1591)”. Pour réaliser son travail, Pastor reçu de Léon XIII l’autorisation spéciale de consulter les Archives secrètes du Vatican. Plus tard, il sera professeur d’histoire à l’université d’Innsbruck et ambassadeur d’Autriche au Vatican de 1920 à 1928.

Cheminement de la pensée pontificale

**Une attitude prudente et responsable

Au consistoire du 11 septembre 1589, Sixte V évoque le tragique destin des derniers Valois et l’assassinat d’Henri III. Il semble, alors, partager les vues de la Ligue quant à la succession française. Cependant, la déclaration d’Henri de Navarre garantissant les droits des catholiques et manifestant sa disposition à s’instruire d’ici six mois dans la religion catholique l’amène, rapidement, à adopter une attitude prudente. Il refuse, ainsi, de reconnaître comme ambassadeur de France le seigneur de Diou, ambassadeur du duc de Mayenne alors chef de la Ligue.

Au consistoire du 25 septembre, Sixte V nomme le cardinal Caetani légat en France. Le but de la mission du cardinal légat est clair : en premier lieu, le maintien de la foi catholique en France et, dans la mesure du possible, détacher de Navarre ses adeptes catholiques et les unir aux partisans de la Ligue.

Mais entre-temps, les nouvelles qui arrivent de France incitent le Pape, de nouveau, à la prudence.

**La mission du cardinal légat Caetani

Le 2 octobre, il donne verbalement des instructions modifiées au cardinal légat sur le départ :
 Il doit enquêter pour savoir si le cardinal de Bourbon, proclamé roi sous le nom de Charles X, a bien été élevé à cette dignité par tous les Ligueurs ou seulement par quelques-uns de ces derniers.
 Le Pape précise qu’il n’envisage son appui à la Ligue que comme une aide apportée à la religion catholique ; il faut donc examiner si la Ligue et le duc de Mayenne ne sont vraiment animés que par des intérêts religieux et si le but principal de Mayenne n’est pas son élévation au trône, mais bien la destruction de l’hérésie.
 Le légat est aussi chargé de faire savoir si rien ne laisse espérer que Navarre redeviendra catholique.
 Finalement, Caetani doit surveiller d’un œil vigilant les visées de l’Espagne et s’assurer, en particulier, si les Espagnols songent surtout à l’élection d’un roi catholique et non plutôt à l’extension de leur puissance en France.

**Le “légitimiste” François de Luxembourg contre l’ambassadeur d’Espagne Olivarès

Cependant, en décembre, ému par la marche d’Henri IV sur Paris, Sixte V fait remettre au cardinal Gesualdo, en sa qualité de représentant du roi d’Espagne, une déclaration portant que le Pape est prêt à conclure une alliance avec Philippe II à l’effet de sauver la religion catholique en France.

Les 10 et 14 janvier 1590, le Pape reçoit François de Luxembourg, qui se présente au nom des partisans catholiques d’Henri de Navarre. Le duc rapporte que son roi l’a chargé de dire au Saint Père qu’il n’est pas un hérétique obstiné : si on l’instruit, il veut bien renoncer à ses erreurs. Il rapporte, également, qu’Henri de Navarre lui a affirmé qu’il croyait en la présence réelle du Christ dans le sacrement de l’autel. « Dieu soit loué, s’écrie le Pape, ça c’est une bonne nouvelle !  »

Olivarès, ambassadeur d’Espagne à Rome, demande que Luxembourg soit immédiatement congédié. Sixte V rejette catégoriquement cette requête : « Nous ne renverrons pas Luxembourg ; il est pour Nous un gage de la sincérité de ceux qui l’ont envoyé. »

**Infidélité de Caetani et alliance de Philippe II à la Ligue

Le cardinal légat reçoit alors des instructions de ne pas repousser les négociations avec les partisans catholiques d’Henri de Navarre. Mais, le comportement du légat est en contraste flagrant avec l’attitude conciliante du Pape. Très nettement, il fait voir qu’il ne veut rien savoir de Navarre, même s’il devient catholique. Il va jusqu’à verser à Mayenne 50 000 écus et cela au moment même où Sixte V refuse au seigneur de Diou ― envoyé de Mayenne ― l’aide financière qu’il lui demande. Pour justifier ce refus le Pape déclare qu’il est convaincu que, pour les Ligueurs, la religion n’est qu’un prétexte pour la poursuite de buts matériels.

La réponse de Philippe II aux propositions d’alliance qui lui ont été faites en décembre parvient à Rome le 22 février : elle est affirmative sur tous les points. Mais le 28, le Pape fait une réponse évasive. De plus en plus inquiet, Olivarès lit à Sixte V une lettre de Philippe II demandant, en termes autoritaires, la ratification du projet d’alliance de décembre, le renvoi immédiat de Luxembourg, une déclaration d’inaptitude à jamais de Navarre au trône et l’excommunication des cardinaux, princes et seigneurs qui lui sont attachés.

En réponse, le Pape menace d’excommunier le roi d’Espagne.

Un Pape défenseur du Droit monarchique français contre la Ligue

Le 17 mars, par trois fois, Olivarès réitère sa demande à genoux. Le Pape ne se laisse pas ébranler. Olivarès menace en disant que son roi retirerait son obéissance à l’égard du Saint-Siège.

Le 19 mars, lors d’une Congrégation extraordinaire, le Pape reçoit le soutien de la majorité des cardinaux, dont le cardinal d’Aragon. La fureur d’Olivarès ne connaît plus de bornes.

Le 22 mars, Sixte V propose aux cardinaux son expulsion et son excommunication. La majorité se déclare pour la prudence.
On reçoit, alors, à Rome, la nouvelle que Mayenne a subi, le 14, près d’Ivry, une défaire sanglante.

Le cardinal de Bourbon, “Charles X”, meurt le 9 mai 1590.

Le duc de Sessa, qui jouit de la pleine confiance de Philippe II, arrive à Rome le 21 juin.
Le 26, il expose au Pape le but de sa mission : obtenir l’exécution des propositions de décembre et gagner Sixte V à la façon de voir du roi quant à la succession de France. Cette façon de voir est la suivante : Mayenne doit devenir roi et, pour prix de son couronnement, il cédera à l’Espagne la Bourgogne, le Dauphiné et la Bretagne ; si l’on ne peut imposer Mayenne, c’est un fils du duc de Lorraine qui doit monter sur le trône de France, on le mariera à une fille de Philippe II, en échange de quoi la Lorraine passera à l’Espagne. Le Pape répond qu’il n’accordera jamais son concours à la Ligue, car la vieille dissension entre les familles de Bourbon et de Guise n’a rien à voir avec la religion.

Dans une lettre, datée du 12 juin, Philippe II écrit au Pape :

Après cette action contre Henri de Navarre, inspirée par Dieu, au début de Votre pontificat, c’est avec un grand étonnement que j’ai vu Votre Sainteté laisser l’hérésie prendre racine en France... Je ne peux pas croire que Dieu ait oublié son Église au point que son vicaire puisse la négliger.

Le Pape tempère et cherche à gagner du temps. Les Espagnols se croient au but. Puis coup de théâtre : Sixte V soumet à la Congrégation de France la question importante de savoir si, en cas de vacance du trône, le choix d’un roi de France était de l’affaire du Pape. Poser une telle question, c’était y répondre, par avance, par la négative ! Olivarès et Sessa sont frappés de mutisme. Ils présentent au Pape un ultimatum, en vain. Le Pape ne ratifie pas le traité qu’ils ont préparé.

Le 28 juillet, le Pape s’exprime en toute franchise à l’ambassadeur vénitien Badoer : «  Nous voulons rétablir la paix en France, mais sans faire de Nous l’auxiliaire de l’ambition étrangère ». Il lui indique très nettement qu’il souhaite la conversion d’Henri de Navarre et qu’alors, il le reconnaîtrait comme roi.

Heureux épilogue, fruit de la sage politique pontificale

Sixte V décède le 27 août 1590. Jusqu’au dernier souffle ― malgré quelques hésitations bien compréhensibles eu égard à la complexité de la situation ― il aura lutté pour que triomphe la seule solution conforme à la “constitution” française, solution qui passait nécessairement par la conversion d’Henri de Navarre. C’est à son successeur, Clément VIII, qu’il sera donné de savourer les fruits de cette sage politique et d’accueillir de nouveau Henri IV dans le sein de l’Église.

Avons-nous besoin, pour nous conforter dans le combat légitimiste, d’une caution plus prestigieuse que celle du grand Pape Sixte V qui a si vaillamment défendu les grands principes de la loi de succession de France et, ce faisant, empêché le démembrement de notre pays ?